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Introduction



Le Temps n'est pas nécessairement rayé de l'existence
par l'Eternité non-temporelle;
leur rapport n'est que verbalement un rapport de contradiction;
en fait c'est plus vraisemblablement un rapport de dépendance.

Sri Aurobindo.

La préoccupation du philosophe de l'astrologie n'est pas l'érudition, qui demanderait de passer un temps infini à répertorier les différentes écoles, mais de saisir l'utilité de cette science intuitive dans ses contextes respectifs, pour en effectuer une synthèse opérative. On découvrira, une fois passée la surprise de l'exotisme, que toute astrologie locale reflète, indépendamment des critères universels (les invariants sur l'interprétation des planètes par exemple) la mentalité de la culture en question. Ce que représente vraiment une fonction planétaire dans l'absolu nécessite une étude comparative, puisque les aspects de son registre seront valorisés avec des différences importantes selon les traditions, ce qui demande au chercheur une réflexion profonde, presque anthropologique, pour venir à bout de certaines interprétations qui parfois semblent antagonistes d'une époque à l'autre ou d'un continent à l'autre, concernant le même signifiant. Et comme les planètes représentent beaucoup de choses, et qu'on peut y fonder tout notre fonctionnement psychologique, on devine dans leur signification locale la partie subjective de la mentalité en vigueur, comment un mental culturel particulier tire dans son sens une énergie pour n'en retenir que les aspects qui l'intéressent, sacrifiant ainsi d'autres données, qui auront peut-être cours ailleurs.

L'astrologie, comme n'importe quelle discipline intellectuelle, s'inscrit dans un contexte donné et y correspond, elle se conforme en partie aux valeurs religieuses et philosophiques, et il est donc nécessaire d'évaluer l'impact de chaque particularisme sur l'emploi des mêmes calculs, censés représenter la morphologie du moment. Les planètes, bien sûr, demeurent les mêmes, et c'est la mentalité locale en vigueur qui ponctue ce qu'elle attend de l'astrologie dans son système de valeurs fermé. Les accents diffèrent. Où que ce soit, nous pouvons dénombrer des craintes concernant l'avenir, en face de souhaits pour se l'approprier, mais les curseurs, en quelque sorte, changent d'une civilisation à l'autre. Il n'est pas très habile de s'en tenir aux grilles déjà édifiées, surtout si elles sont utilisées ailleurs, pour une autre mentalité, car nous plaquerions alors des significations toutes faites sur la réalité immédiate, tout en étant obligé de choisir les yeux fermés un système au détriment des autres. Il est nécessaire de méditer les critères opératifs, et il est donc louable de revoir les avis les plus autorisés sur les planètes, les signes et les maisons, et la liste des signifiants spéciaux (comme les nœuds lunaires, la lune noire, les mi-points, parfois les astéroïdes, ou certains d'entre eux), dont la pratique finit par révéler un sens, qui permettra un échange profond en consultation.

Et comme l'astrologie évolue, telle n'importe quelle science humaine, il faut parfois réviser la question des significations, améliorer l'éthique de la discipline, car on peut faire dire à l'astrologie tout et rien. Elle est communément employée pour tricher avec le destin, auquel cas elle devient une sorte de pratique rationnelle de la ruse pour instrumentaliser la flèche du temps, comme on peut lui faire rendre des verdicts thérapeutiques, ou carrément l'utiliser pour identifier les déterminations qui nous caractérisent et les modifier, afin de les transcender une fois localisées, ce que nous proposons ici, dans le contexte d'une évolution divine probable. C'est un point important pour le philosophe d'établir sa propre éthique, que le simple astrologue peut éviter, en appliquant des critères inflexibles. Mais celui qui veut faire de l'astrologie une sorte d'art divin voué à l'évolution, doit passer au crible tous les présupposés de l'art qu'il pratique, et exiger de sa science qu'elle soulève l'individu vers ses plus hauts potentiels, tout en lui donnant envie de les actualiser, si l'on peut évoquer le désir transcendantal comme une composante de la nature humaine. Ce désir a jusqu'à présent été récupéré par de grandes institutions qui l'ont contrôlé en manipulant des croyants craintifs devant l'Infini, dont ils ont néanmoins appris l'existence comme celle d'un être invisible, absolument souverain, inaccessible, que l'on se surprend même à aimer, avec des arrière-pensées fondées sur la peur de mourir et le besoin d'approbation. Mais ce désir existe, et se manifestera davantage dans l'humanité dans le cycle qui s'annonce, aussi le nommons-nous encore, pour le distinguer des élans de la nature, aspiration au Divin, aspiration à l'être, aspiration à la Vérité.

En revanche, la pratique de cet art astrologique, faible mais régulière, pendant plus de vingt ans, me pousse à douter qu'on puisse infliger à un individu une lecture de son thème qui en révèle le potentiel divin, si lui-même n'est pas prêt pour une remise en question fondamentale, non seulement de ses valeurs, qui demeurent finalement des objets, mais de sa propre manière de percevoir le non-moi, et de se considérer lui-même. Les prises de conscience ne peuvent s'effectuer qu'à partir du vécu, et il est vain de vouloir faire comprendre intellectuellement un aspect, ou une position planétaire, tandis qu'en restant sensible aux difficultés existentielles que le consultant évoque, il est possible de les replacer dans un jeu énergétique dont la lecture est aisée dans le thème radical. Dans cette mesure, ce n'est pas à l'astrologue de monopoliser la parole, mais il doit au contraire disposer d'une écoute infaillible pour rapporter les aveux qui lui seront faits à la structure du thème. Il peut s'ensuivre, chez celui (ou celle) qui se renseigne, la vision de mécanismes intérieurs à saisir et transformer.

Des présupposés culturels envahissent l'interprétation astrologique, et nous devons y revenir pour éviter d'appliquer un système où nous retrouverons les préjugés d'une culture, ce qui oblige à comparer plusieurs écoles, se libérer également de ses propres préférences, pour approcher au plus près le diagnostic objectif, dégraissé de projections. Je citerai donc volontiers mon propre exemple, avec la question de choisir un zodiaque, le sidéral hindou, ou le tropical en cours dans nos contrées, qui colportent les mêmes signes, mais décalés de 23 degrés environ. J'ai abandonné pour ma part l'astrologie hindoue qui instille dans son interprétation les préjugés même de la civilisation, soit la vision d'une fatalité régie par des répétitions cycliques inéluctables. L'être humain n'y est libre de rien, ce que l'on retrouve dans la pente même de la mentalité qui s'est enfermée dans les castes (dont le sens traditionnel s'est perdu), la souveraineté du karma, un sens scrupuleux du devoir, suffisamment écrasant pour que la spontanéité soit suspecte, toute la culture livrant les individus à des codes imprescriptibles sévères, basés sur des notions d'infériorité et de supériorité arbitraires, dont les faibles et les femmes font encore les frais à l'heure actuelle. Mais c'est justement parce que le déterminisme y est traqué, et bien souvent découvert (quand il n'est pas vénéré comme la preuve de la souveraineté de Dieu !) que certaines techniques hindoues sont efficaces en astrologie horaire, en particulier parce que les phases de la lune (et des nœuds lunaires) ont été décortiquées depuis longtemps, pour en vérifier les caractères.

Ma grande surprise a été de constater que le soleil n'était pas valorisé en astrologie sidérale, alors que je suis au contraire convaincu que c'est la clé du thème. Le soleil est un pouvoir de conscience involué, individuel, et qui révèle ses capacités divines quand l'ensemble du thème a été intégré; ce qui demande, naturellement, d'avoir mené à bien l'aventure exploratoire qui mène à l'autorité intérieure, dont nous allons parler, et dans laquelle Saturne joue un rôle hiérarchique difficile, de contremaître en quelque sorte, partagé entre les demandes des ouvriers et l'exigence du patron. Cette vision m'a convaincu que l'astrologie révélait un monde quantique, c'est-à-dire que c'était une erreur de considérer toutes les planètes sur le même plan. Autant l'influence de la lune sur le plan horizontal est-elle visible, autant le soleil mérite-t-il une valeur particulière, parce qu'il est au centre, et cette valeur ne peut se considérer de la même manière que les corps en orbite.

Cela m'a troublé, ce soleil presque étouffé, parce que j'espérais naturellement un consensus plus étroit sur les signifiants astrologiques, ce qui aurait été rassurant intellectuellement, tandis que d'autre part le soleil possède différents noms dans les Védas, avec des connotations spirituelles profondes. Puis j'en suis venu à la conclusion que la mentalité qui règne encore en Inde récupérait les critères de l'interprétation astrologique dans son système de valeurs homogènes. Il est difficile d'accorder au soleil une valeur pratique et précise, contrairement à la lune, et comme l'astrologue hindou cherche à faire «parler» les planètes pour en tirer des renseignements précis et pratiques, le système ne fonctionne pas avec le soleil. C'est un pouvoir synthétique, qu'on ne peut pas tirer dans un sens ou un dans autre, contrairement à Vénus et Jupiter, qui donnent par principe (quand les circonstances s'y prêtent) et à Mars et Saturne, qui prennent par principe (sauf si on les prive de leur pouvoir prédateur dans des moments particuliers), le tout dans un éventail très large des significations dérivées que l'on peut donner à ces deux verbes, tandis que Mercure possède lui aussi quelques connotations pratiques, liées aux écrits, à la connaissance, à la manière de verbaliser la perception, ou de se relier aux autres sur le plan mental.

APPROCHE TECHNIQUE 01 FORME STRUCTURE PRINCIPE.

Comme en Occident nous croyons faire l'histoire, et que nous sommes convaincus depuis trois cents ans que nous avons un réel pouvoir sur le monde, l'idée nous est venue de renverser peu à peu les significations de Mars et Saturne, pour voir en quoi leur côté négatif sur le plan événementiel pouvait être maîtrisé en amont, c'est-à-dire par une compréhension des principes qu'ils manifestent. C'est donc un esprit conquérant, celui qui s'est lassé au siècle des Lumières des superstitions et des dictats de l'Église, de l'emprisonnement de l'homme dans une morale inflexible et affichée, qui a repris les concepts manichéens de l'ancienne astrologie, en commençant à soulager le système de sa finalité seulement prédictive, pour aborder l'essence des planètes en amont des événements qu'elles sont censées représenter. Avec symétrie, les initiés se sont également rendus compte que les signifiants soi-disant favorables par principe dans l'événementiel, comme Vénus et Jupiter, pouvaient révéler des aspects négatifs en amont, dans leur structure même, en faisant dépendre le sujet confusément de ce qu'il s'imagine être en droit de recevoir, de l'altérité et du non-moi (ce que l'on découvre parfois renforcé par les aspects astrologiques du thème natal). Ce mouvement de l'esprit, celui de lire en amont, s'est développé sans cesse, et, contrairement à la tradition hindoue, il s'est mis en quête de la liberté qui nous reste, — une fois que les principes des déterminations auront été exposés, afin que cette liberté joue à transformer les déterminations elles-mêmes. Facilement dans leur forme, avec le feed-back, une prise de conscience des mécanismes a posteriori, soit le retour sur l'émotion et le préjudice; plus difficilement dans leur structure, ce que représente vraiment chaque psycho-planète à l'intérieur de soi, désembourbée de ses amalgames à d'autres pouvoirs.

Cette branche s'est finalement développée jusqu'à l'astrologie humaniste, que j'ai pratiquée et enseignée quelque peu moi-même quelques années (1987-1992), un type d'astrologie nouveau, et économe par rapport à d'autres voies ésotériques, une démarche qui est d'ailleurs refusée et méprisée par d'excellents astrologues, spécialisés en astrologie horaire, la science des moments opportuns.

L'économie des principes de l'astrologie est telle (une dizaine de signifiants majeurs répartis dans deux cercles segmentés en douze, et reliés par des angles fondés sur la division la plus simple du cercle) qu'il n'est pas surprenant de voir différents systèmes se développer à partir de grilles de critères différentes. Chacune sera, polie par l'usage, suffisamment homogène pour balayer un champ précis et limité du réel. Il suffit d'employer l'image d'une même partition de musique jouée par différents instruments l'un après l'autre, pour comprendre que les mêmes calculs peuvent servir des causes différentes. Une mauvaise interprétation astrologique ne remet pas en cause l'authenticité du schéma nommé horoscope, cette signature cosmique d'un moment donné, puisque, depuis des milliers d'années, des systèmes différents ont été mis au point pour y parvenir (sur des bases astronomiques objectives, d'ailleurs de plus en plus en précises). Il faut donc savoir en premier lieu ce qu'on demande à un calcul, et utiliser la branche correspondante, et toujours garder à l'esprit que l'astrologie du diagnostic (par exemple l'esquisse du caractère) est différente de celle de la prévision, qui nécessite la compréhension des phases d'un cycle. En ressentant ce que l'on cherche à demander à l'astrologie, on parvient à choisir les secteurs les plus nourrissants, et l'on peut être très exigeant en la matière, grâce aux découvertes contemporaines, et au nombre croissant d'astrologues remarquables qui ont déjà traversé des expériences spirituelles. L'on peut aussi s'intéresser aux correspondances, et pratiquer en survolant l'astrologie médicale, soit repérer en consultation un point faible sur le plan physique, par les carrés dans les maisons dites néfastes par exemple, et éclairer le sujet sur la conscience qu'il doit mettre dans ce secteur pour éviter les somatisations. Il n'y a pas de raison de limiter l'interprétation astrologique, qui peut s'opérer à différents niveaux. De l'autre côté, plus matériel, l'on peut s'intéresser aux prévisions, qu'il faut replacer dans leur contexte historique (je conçois pour ma part qu'un déplacement pour l'anniversaire, — ce qui fait changer l'ascendant de l'année, est le bienvenu, non pour améliorer l'ordinaire, mais pour favoriser une guérison ou la sortie d'une crise, ou surtout en cas d'urgence).

Tant que l'homme ne se sent pas capable d'agir sur sa destinée par lui-même (et c'est une idée nouvelle et localisée à l'échelle de l'histoire, celle d'émerger par ses propres moyens en tant qu'individu), il accorde aux circonstances un droit de regard excessif sur le trajet de son existence, et recherche donc comment favoriser les événements gratifiants et éviter les périls, les chutes, la maladie, la pauvreté, en gros la malchance. Dans cette optique, l'astrologie se limite à une science du futur vu comme le produit du passé ou le retour des mêmes causes, puisqu'il s'avère après des milliers d'années de vérifications entassées dans de nombreux corpus d'origine différente, que certaines figures astrales président, au-delà des probabilités pures, à des catégories d'événements précis.



1/Intérioriser le cosmos

À notre surface, le principal instrument de pensée et d'action
qu'emploie généralement l'homme est la raison,
l'intellect qui observe, comprend et dispose.
Dans toute progression ou évolution intégrale de l'esprit,
il ne faudra pas seulement développer l'intuition,
la pénétration, les sens intérieurs,
la dévotion du cœur, une expérience vivante,
profonde et directe des choses de l'esprit,
il faudra aussi que l'intellect soit éclairé et satisfait.
La vie divine, Sri Aurobindo..

Mais notre propos est avant tout d'ordre spirituel: la philosophie de l'astrologie prépare à supporter toutes les circonstances extérieures, qu'elles apparaissent ou non produites par des configurations astrales. La connaissance intérieure que nous pouvons acquérir des signifiants, les planètes et les éléments, nous permettra de faire front à n'importe laquelle de leur manifestation dans le monde régi par la flèche du temps. C'est un point capital, puisqu'il existe différentes manières de supporter les événements difficiles, depuis leur déni colérique à la résignation humiliante dans les plans psychologiques inférieurs, jusqu'à leur reconnaissance détachée sur les plans du Soi, ou de l'être psychique.

APPROCHE TECHNIQUE 02 L'INTENTION GUIDE L'INTERPRÉTATION.

Nous pouvons donc intercepter les fréquences planétaires à différents niveaux de l'être, et plus le souhait d'en transformer les aspects archaïques se manifeste, plus il devient facile de trouver un sens aux obstacles. Tandis qu'auparavant ils étaient considérés comme des adversaires, ils peuvent devenir des entraîneurs. Des circonstances de plus en plus difficiles peuvent se manifester sans que cela n'entame la foi du sujet dans le Divin ou l'existence, étant donné que le moi apprend à devenir souverain par rapport aux circonstances, sans pour autant se fermer à elles ou les rejeter. Autrement dit, la connaissance intérieure de Saturne, par exemple, qui se révèle par une longue alchimie, permet de faire face à n'importe quelle situation saturnienne, puisqu'il y aura identité entre le moi et le non-moi, au moment donné où la crise saturnienne apparaîtra. On ne sera pas désarçonné par un impact saturnien événementiel, s'il se présente, car la rigueur et la profondeur de cette énergie, qui demande de traverser toutes les formes pour parvenir à l'essence imprescriptible du réel, seront déjà présentes en soi. On acceptera, avec le pouvoir de l'intégrer, une période sans joie, difficile, où tout semble se désagréger. Au-delà de cette destruction formelle des circonstances ou des habitudes, une nouvelle orientation plus inclusive sera pressentie, ce qu'une personne non avertie, ou non consacrée au spirituel, a peu de chances d'apercevoir; elle s'accrochera donc peut-être sans espoir à des objets révolus, qui, de toute façon, disparaîtront par la force de l'aspect saturnien événementiel (souvent indiqué par un type de transit). La connaissance n'escamotera pas l'épreuve, mais lui donnera une résonance évolutive et non morbide. La distance qui peut être prise sur les événements difficiles par le saturne intérieur, en amoindrit la puissance, et abrège la période de conflit.

On le voit, cette manière de pousser aussi loin les signifiants de l'astrologie s'éloigne de l'acharnement à contrôler le futur qu'exerce l'astrologue horaire, qui lui, se contente d'éviter les chicanes du destin pour figer un caractère donné dans la maîtrise des événements. Il ne voit pas comment une énergie planétaire peut s'intégrer dans la conscience, et trouve ce travail inutile, puisqu'il suffit de pousser l'adversité de côté pour maintenir la structure du caractère, ce qui évite de transformer sa propre psychologie, dans la mesure où l'on parvient à la conserver telle quelle en apprivoisant les événements, pour qu'ils soient favorables ou neutres, sans tomber dans la négativité. Le philosophe de l'astrologie pousse plus loin la théorie des correspondances, qui a été conservée par toutes les écoles initiatiques, la redécouvre, et crée tout simplement un système parfaitement homogène qui relie un moi structuré au non-moi structuré de la même manière, puisque les mêmes signifiants vont caractériser l'objet intérieur, l'individu, et l'objet extérieur, le cosmos, qui a produit le premier. (Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que l'être humain soit à l'image de l'univers, puisqu'il en est méthodiquement sorti en plusieurs centaines de millions d'années, le mental finissant par apparaître comme un pouvoir réfléchissant la création). Il est donc maintenant nécessaire de comprendre que la philosophie de l'astrologie se distingue de l'astrologie elle-même. Cette philosophie, parce qu'elle implique à la fois réflexion sur des concepts opératifs et introspection sur leurs modalités d'usage, se propose d'investir les structures permanentes de la personnalité, indépendamment de tout contexte temporel, et propose donc un travail intérieur radical, purement vertical en quelque sorte, du subconscient au supraconscient.

Quels que soient les événements qui nous affectent à travers les formes du temps (transits), ou le schéma de l'incarnation (thème de naissance), de toute façon la transformation intérieure du septenaire (du soleil à saturne compris) est nécessaire pour parvenir au soi, au Brahman, à l'être psychique, à la désidentification de la nature.

Que l'astrologie puisse préparer en quelque sorte cette transformation, en établissant certains ordres, c'est son rôle, mais ces ordres appartiennent à la succession, et sont plutôt stratégiques. L'astrologie révèle donc deux choses, un ordre structurel, soit la prépondérance de certaines tendances et leurs combinaisons dialectiques (lecture du thème natal), et un ordre cyclique (les moments où les tendances s'égarent dans des fluctuations événementielles chaotiques, propres à désagréger le moi ou au contraire à le renforcer en le fossilisant dans des patterns). L'astrologie permet d'individualiser avec une précision étonnante ce que chacun porte de toute façon en soi, quelle que soit sa morphologie particulière. La somme des pouvoirs planétaires est différente pour chaque individu, comme l'attestent différentes méthodes de calcul des prépondérances, dont la comparaison montre à quel point les astrologues demeurent des individus subjectifs, puisque les meilleurs d'entre eux trouvent des résultats différents. C'est affligeant de voir que des «autorités» ne concordent pas sur quelque chose d'aussi essentiel, et puis cela s'explique: il est tout bonnement impossible de donner une valeur arithmétique à une planète en fonction de sa place, puisqu'elle est la plupart du temps reliée à d'autres, ou dépendante de la manière dont est vécu son élément et dont est intégré le maître de son signe. Il est impossible d'isoler ce facteur, faisant partie d'un organisme où chaque élément se répercute sur les autres pour consacrer la valeur du système énergétique. C'est donc l'ensemble qu'il faut pouvoir saisir, comme on voit une fleur avant de compter ses pétales, et cet art relève d'une virtuosité qui ne me semble personnellement accessible qu'aux possesseurs du Soi, ou éventuellement à quelques experts réceptifs qui restent sensibles à la souveraineté du spirituel. Pour les autres, la pratique astrologique demeure un moyen de se projeter soi-même sur la vie des autres, avec une efficacité assez faible, mais qui correspond aux attentes en jeu.

Le philosophe de l'astrologie, lui, veut aller plus loin. Ses références ne sont pas seulement les écrits des grands astrologues et des meilleurs psychologues, mais les témoignages des maîtres de la conscience, qui, mystiques, sages, ou savants inspirés, comprennent le projet de l'univers à l'égard de l'homme. Imprégné de ce dessein transcendantal, il revient à l'astrologie en l'instrumentalisant à des fins supérieures, et laisse en cours de route les points insolubles, comme des détails à élaguer, des précisions superfétatoires car peut-être fausses ou trop approximatives. En effet, on rencontre souvent des difficultés sur le terrain, et l'on peut même se décourager. Je tiens d'ailleurs à citer quelques exemples, qui constituent «les épines dans le pied» pour tout chercheur. L'astrologie étant jusqu'à présent une activité mentale, l'esprit y projette ses propres règles d'organisation, et s'il y a un consensus sur de nombreux critères, il manque sur d'autres, ce qui oblige à préférer une méthode à une autre. Ainsi la domification ne fait pas l'unanimité, et il est vrai que c'est un processus analytique qui soudain met une barrière entre une maison et une autre, qui divise le zodiaque des maisons; mais, dans la réalité, il n'y a pas de cuspide, pas de limite définie. Le mieux est de s'en tenir au croisement des deux axes, qui fondent l'écartèlement de l'incarnation, avec le haut et le bas, (FC-MC), et l'intériorité et l'altérité (AS-DES). Savoir quel calcul est le meilleur pour diviser ensuite en trois segments ce qui se trouve dans chacun des quatre cadrans délimité par le croisement essentiel, me paraît impossible. Mais, même sur les logiciels, les différents systèmes de domification s'alignent et rivalisent... Ce qui veut dire dans la pratique qu'il peut arriver qu'on ne se sache pas à quelle «maison» appartient une planète. Selon le régime employé, elle change de secteur, ce qui est assez cocasse. Pour ma part, j'ai résolu cette difficulté en devenant très sensible aux encadrements, et à l'ordre de succession des pouvoirs depuis l'ascendant, ce qui me montre vraiment ce qu'ils représentent comme contraintes pour le sujet. La contrainte existentielle est de s'identifier à cette planète-là, où qu'elle se trouve, avec conscience, et pour les cas litigieux, un signifiant qui change de «territoire» selon le système de domification employé, il y a deux manières de procéder: l'échange avec la personne, «où» vit-elle ce pouvoir, dans quelle zone, ou bien une astuce technique, qui consiste à conférer à ce corps sa place symbolique en divisant en trois maisons égales le cadran qui la contient. À ce moment-là, la planète en litige mitoyen tombe bien dans son secteur du point de vue individuel, elle trouve sa place dans le ciel intérieur, celui de la conscience. Il s'agit là d'une vision géométrique, mais holistique: dans l'ensemble du thème, tel pouvoir a trouvé sa place proportionnellement aux autres, et c'est là qu'il devient homogène dans l'ensemble d'une répartition psychologique juste, indépendante de toute forme de calcul basée sur une division externe, géocentrique. Le problème des cuspides n'est pas le seul cauchemar de l'astrologue. Il en existe bien d'autres, comme la maîtrise de Pluton (pour moi Pluton maîtrise tous les signes pour le moment, il est le maître aussi légitime en Scorpion qu'en Poissons ou en Bélier, et Volguine le logeait en Sagittaire), l'interprétation de la lune noire, la plus belle auberge espagnole de la pratique, l'axe des nœuds, qui se prête à toutes sortes de dérives, sans compter la double maîtrise des deux derniers signes, qui divisent les astrologues. Enfin, j'en profite pour dénoncer une pratique assez courante, qui est celle d'accorder aux signes du zodiaque tropical des qualités qui reviennent aux signes du sidéral, ce qui n'a aucun sens vu le décalage de 23 degrés entre les deux zodiaques. Les qualités des signes tropicaux, les nôtres, viennent de leur place par rapport à l'équinoxe et de leur succession, et enfin de la combinaison entre l'élément et le genre du signe, fixe, cardinal ou mutable. Quelques analogies tombent particulièrement bien, mais elles sont infiniment réductrices, et parfois trompeuses. Les qualités de nos signes ne s'originent pas dans les modèles des constellations qui ont permis d'élaborer les signes du zodiaque sidéral ou hindou, mais nous en avons conservé la succession et le nom. S'inspirer de ces symboles en astrologie tropicale est inutile, et le nom des signes est donc un obstacle à leur compréhension profonde, si l'on s'en tient à ce symbolisme décalé dans l'espace. Par exemple, le signe fixe du feu, appelé Lion, correspond en partie à la symbolique de l'animal et de la constellation qui a présidé au nom du signe sidéral, mais cette analogie finit par dissimuler d'autres propriétés, tandis qu'une réflexion sur la combinaison fixité-feu révèle certains paradoxes du signe (complémentarité de l'égocentrisme et de la générosité, qui peuvent être proportionnels, la fixité «tirant à soi» et le feu se dispersant avec lumière). Et pour en revenir à des choses plus simples, n'importe quelle conjonction étroite est difficile à interpréter, puisque la manière dont les pouvoirs vont se confondre dans l'activité psychologique du sujet dépend du reste, en particulier de l'emprise de l'ascendant, dont l'énergie peut récupérer la confusion des pouvoirs sous sa tutelle. Bref, pratiquer une véritable astrologie constitue un véritable tour de force, et si j'insiste autant sur ses contraintes, c'est pour mieux en revenir à la philosophie de l'astrologie qui, elle, est à la fois plus radicale et plus simple.

APPROCHE TECHNIQUE 03 L'ÉNERGIE DU SIGNE RETIENT LE POTENTIEL SOLAIRE.

On peut donc pratiquer la cosmophilosophie en évitant l'astrologie proprement dite, ou en n'en comprenant que les rudiments, les sept tendances, qu'on peut éventuellement teinter de leur élément, mais cette indication ne favorise par forcément la confrontation avec elles. Enfin, je demeure convaincu que l'élément est d'autant plus important pour les signifiants subjectifs, Mars, Vénus, Mercure et soleil, primordial pour la Lune, et perd de son importance quand on s'éloigne vers la galaxie. Si l'on peut définir des caractéristiques différentes pour Saturne selon quel élément il occupe, ces différences toucheront surtout le fonctionnement vers l'extérieur, mais l'intégration intérieure de Saturne demeure une expérience profonde, et si elle semble facilitée pour le soleil en Capricorne, son domicile, c'est un piège. La planète en domicile fonctionne avec une intensité particulière, mais qui n'a rien de transcendant. Ainsi, les Lion sont favorisés pour employer la fonction solaire, mais sans un retour sur eux-mêmes, ils plafonnent dans une identité affirmée et peuvent se contenter de leurs différentes réussites. Les Cancer disposent de l'énergie lunaire en abondance, mais, justement, ce privilège de baigner dans la viscosité sensuelle entre le moi et le non-moi peut se suffire à lui-même, et le transcendant peut être refusé sous prétexte d'être ailleurs. Les Bélier et les Scorpion peuvent se satisfaire d'une fonction martienne acérée, dans l'action, l'initiative, le projet du futur pour les premiers, dans l'investigation permanente, psychologique, sexuelle, sociale pour les seconds, sans que la transformation de Mars ne se produise. La fonction mercurienne des Gémeaux se disperse sous la poussée de son propre flux, et celle des Vierge se perd dans la capture du quotidien par des procédures, et la transformation du mental n'est donc pas favorisée chez ces deux signes. Vénus est difficile à transformer chez les Taureau, qui attendent trop de la Matière, des sens et de l'esthétique, et se cristallise chez les Balance dans des attentes supérieures, de tous ordres, qui peuvent pervertir la sensation du présent, ou l'instrumentaliser en l'idéalisant. Si Jupiter fonctionne sur une base exponentielle, ce qui me paraît conforme à l'idée même de développement, il ne se rassasie jamais de rien en tant que maître du Sagittaire, et le soleil dans ce signe accroît son territoire, en passant parfois à des appropriations plus subtiles, comme celle de la compétence, mais qui se confine dans un contexte, même étendu. Le capricornien s'arrête aux meilleurs compromis possibles entre le non-moi et lui-même, dans une sorte d'identité fonctionnelle et sécurisante, et il ne s'autorise aucune avancée intuitive vraiment risquée. Il risque de refuser le transcendant faute de preuves, et de se complaire dans une réglementation, alors qu'il possède de nombreuses qualités spirituelles. Le Verseau n'est pas plus à même d'intégrer Uranus que qui ce soit d'autre, mais il en ressent l'appel, ce qui lui donne une distance naturelle vis-à-vis de tous les conformismes, et un goût certain pour l'avenir. Les Poissons ont une vision holistique naturelle, ce qui les empêche de mettre à leur place respective les désirs et les sentiments, qui empiètent les uns sur les autres, et leur manière de vivre la totalité s'arrête le plus souvent à des compulsions neptuniennes telles que l'alcool, la drogue, le fétichisme, l'occultisme, la magie.

Cette esquisse nous permet d'affirmer qu'un contact soutenu avec une énergie planétaire (ici signifié par la planète maîtresse du signe solaire qui est en affinité avec elle) demeure à double tranchant, soit une opportunité rapide pour ceux qui veulent découvrir la fonction supérieure du signifiant à leur disposition, soit un piège pour les autres: ils abuseront de ce pouvoir en le laissant se manifester tel quel, poussé en avant par la puissance de la nature. La pratique a confirmé que la planète maîtresse du soleil est bien présente dans son signe, par définition, même si elle se trouve astronomiquement ailleurs, ce que les Hindous confirment. Les Lion ont une intuition naturelle de «l'identité personnelle» et pour eux le soleil est forcément dans leur signe, mais pour les autres soleils, ils dépendent de la planète maîtresse de leur signe, où qu'elle se trouve, et cela ouvre déjà une perspective très profonde en matière de psychologie: la nécessité d'une concordance consciente entre le soleil, la fonction d'identité, et sa planète maîtresse, différente (sauf pour le Lion). Autrement dit, vu la distribution des signifiants psychologiques dans l'écartèlement de l'horoscope, cette concordance est rarement donnée, elle est à obtenir: que faire d'une Lune refroidie en Capricorne quand le soleil est en Cancer, dominé par la servante de la nuit? Comment s'accommoder d'un Mars qui reçoit des carrés pour le contrecarrer quand on possède un soleil en Bélier ou Scorpion, sous l'emblème de cette planète rouge? Que faire d'une Vénus reliée à Saturne avec le soleil confiant du Taureau ou idéaliste d'une Balance?

Les tendances génériques, auxquelles nul n'échappe, peuvent devenir impersonnelles et universelles, si la conscience les utilise à leur plus haut niveau vibratoire. On peut donc citer quelques exemples pour illustrer le principe, s'en imprégner, tout en se libérant de l'aspect conditionné de cette fonction, en signe et en maison. Où qu'il se trouve, Mercure devient intelligent quand il ne bavarde plus, ne s'arrête plus aux détails insignifiants des choses, et cherche à toujours conserver le sens de ce qui est perçu en fonction du Divin, de l'évolution, de son intégrité de témoin du moi, à travers son pouvoir sémantique. Ce travail est à faire pour chacun puisque Mercure, au départ, et conformément au développement de la nature physique avec la question de la petite enfance, reste entièrement rattaché aux prérogatives lunaires. Dans une certaine mesure, Mercure confond son propre pouvoir de verbalisation avec le flux émotionnel. Cet amalgame mercure-lune est admirablement bien traité dans de nombreuses voies bouddhistes, où l'on ne cesse de mettre l'accent sur le désastreux automatisme de la pensée dans le champ naturel, puisqu'elle peut demeurer une vie entière enfermée dans les craintes, sujette aux seules sensations, incapable de s'abstraire hors de l'espace-temps, ou alors seulement, dans la fuite imaginaire en avant, qui cherche à rassurer, ou bien encore le souvenir gratifiant, qui cherche à valoriser. Le cerveau se forme en combinant les fonctions lunaire et mercurienne, que l'on voit d'ailleurs ne faire qu'un chez le petit enfant, ou chez certaines personnes devenues adultes, qui vivent dans une spontanéité absolue, sans pouvoir prendre le moindre recul sur les choses, et qui, même en parlant, ne font rien d'autre qu'exprimer leurs émotions plus ou moins diluées. En simplifiant, la question de savoir qui dit je en soi-même se pose tout au long de l'existence, puisque nous sommes simultanément capables de nous décevoir et de nous féliciter, de nous aimer ou de nous déconsidérer, ce qui atteste bien d'une marge de manœuvre dans le dialogue que nous entretenons avec nous-mêmes, dans lequel Mercure verbalise les projections des pouvoirs planétaires vers leurs objets. Il existe une sorte d'embryogenèse psychologique qui permet à Mercure de verbaliser au fur et à mesure de leur apparition les fonctions psychologiques, mais il commence toujours par abstraire les sensations, et comme je l'ai déjà mentionné dans un autre ouvrage, mercure ne va pas plus loin si l'enfant n'est pas entouré d'humains. Les enfants loups ne découvrent pas la pensée conceptuelle. D'un autre côté, certains primates, bonobos ou chimpanzés, éduqués par des éthologues, réveillent leur Mercure involué, et savent utiliser une grille de concepts suffisante pour s'ériger en sujet volontaire pour désigner des objets à s'approprier.

Cet exemple est suffisant pour comprendre que le travail spirituel nécessaire à l'éclosion d'un moi intemporel, impersonnel, puis divin, est à faire en lui-même, quelles que soient les place et force particulières que possèdent Mercure et Lune dans le thème. Mercure devra, à la fin de la petite enfance, étendre son domaine au-delà de l'immédiateté lunaire, pour traduire en pensée les désirs projetés (Mars) et les désirs attendus (Vénus), ce qui fait entrer en jeu la navette imprescriptible dont le moi ne pourra plus jamais s'abstraire: le va-et-vient entre le sujet et l'autre, le moi et l'altérité, le purusha et l'univers, scandé plusieurs fois par seconde. En effet, nous balayons le champ perceptif à toute vitesse, grâce aux sens et à la surprenante habileté de la pensée, ce qui permet de renouveler sans cesse notre perception de l'extérieur, d'en modifier les critères de préhension, tandis qu'avec le retour des informations, nous pouvons également nous sonder nous-mêmes, situer le non-moi par rapport à nous, et nous par rapport à lui.

APPROCHE TECHNIQUE 04 MERCURE DOIT INVESTIR TOUT LE THÈME.

Donc, en passant de l'astrologie à la comosphilosophie, nous établissons que Mercure s'élance dans toutes les autres maisons que la sienne propre, pour dépasser la territorialité de la pensée naturelle. Mercure dans le premier cadran ramène trop le réel à soi-même, et c'est en l'envoyant en face que l'on commence à admettre que nous dépendons de beaucoup de choses. Dans le second cadran, Mercure ramène à des préoccupations qui peuvent s'enfermer dans le court terme s'il ne s'élance pas vers le dernier cadran pour saisir des choses essentielles, des enjeux importants, des univers profonds hors de la durée, ou hors de la subjectivité. Dans le troisième cadran, Mercure risque d'être obnubilé par le non-moi et l'autre, et il convient de l'envoyer vers l'ascendant et les premières maisons saisir les besoins intérieurs. Dans le quatrième cadran, Mercure jouit d'une dimension importante, qui peut avoir de la peine à saisir les choses les plus évidentes, les plus matérielles, les contraintes les plus élémentaires, et il doit en quelque sorte apprendre la rigueur dans le rapport entre les idées et les faits. Un certain effort, ou une attention créée par l'aspiration, peut permettre d'élargir les investigations mercuriennes, dans tous les secteurs, et d'en faire ainsi le collaborateur du soleil.

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De la même manière fondamentale, soleil et saturne sont amalgamés pour donner le sentiment empirique d'une identité immuable, le moi qui se conjugue en se parlant à lui-même, et la séparation des deux fonctions est laborieuse, voire interminable. Cette confusion s'opère vers l'âge de sept ans, où l'amalgame se forme avec une conviction unique, qui donne au sujet le sentiment qu'il est réellement distinct de l'extérieur, et qu'il peut y puiser tout ce dont il a besoin. À cet âge-là, la faculté de verbaliser est presque complète, elle ne sert plus seulement à interpréter le ressenti, mais elle se dirige vers l'intérieur, et découvre l'interrogation consciente. C'est une époque décisive, où l'éducation va favoriser ou nuire à la répartition naturelle d'intérêt que le sujet se fabrique entre le non-moi et lui-même. Dès lors, le Soleil tente par tous les moyens de conserver une image positive du moi enfin éclos, en tant que dépositaire du sens absolu de l'existence, alors que Saturne au contraire, contrebalance, et dévalorise le sujet en lui montrant ses limites face à la souveraineté du non-moi, dont il se détache par le sentiment imprescriptible de l'identité. On sait aujourd'hui que «pourrir» les enfants en leur accordant trop, renforce la fonction solaire, l'égocentrisme et le narcissisme, ainsi que le manque de responsabilités; et qu'à l'inverse, les surveiller en permanence, les culpabiliser à tout bout de champ, les dégoûte de l'autorité tout en alimentant des peurs, avec le risque qu'ils ne sachent plus découvrir une confiance absolue ni dans la vie ni en eux-mêmes, remplacée par toutes sortes de compensations délétères, conformes aux excès des pouvoirs les plus prépondérants.

La combinaison peut aussi fonctionner sur un mode naturel, avec une certaine complémentarité, sans que se révèle réellement une identité solaire, indépendante des constructions saturniennes. Dans ce cas, le sujet adulte ne peut pas s'identifier au-delà des valeurs morales et religieuses où le soleil intérieur se reflète, et le moi ne possède donc aucune chance de dépasser les dualités construites par l'esprit humain pour saisir le réel. Le bien restera l'opposé du mal, ad vitam aeternam, empêchant la percée du purusha en dehors du samsara. L'esprit conservera une vision binaire des choses, prête à légitimer toutes les réactions, toutes les survivances dynamiques en cas de conflit avec l'extérieur, et les conflits intérieurs seront attribués aux circonstances et non au manque d'unité intérieur. Il est donc nécessaire de descendre en soi, dans un doute profond concernant sa propre valeur, pour se libérer des modes d'identification saturniens qui seraient suffisants et nécessaires pour assumer une existence sans transcendance. C'est nécessaire de plonger vers le lieu secret où le soleil et saturne sont confondus dans ce socle d'identité imprescriptible, avec un élan absolu d'un côté vers la jouissance de sa propre existence spirituelle et la contrainte fondamentale de l'autre, celle de tenir compte du réel pour utiliser le mouvement, la flèche du temps, dans le cadre d'une évolution lumineuse. Sans cette descente, le soleil archaïque, vaniteux et ivre de lui-même, possédé par rajas davantage que sattva, empêche saturne de structurer des valeurs si l'ego est fort, tandis que saturne peut au contraire, sur des personnalités faibles, imposer des lectures permanentes du réel qui mènent à une conformité telle avec les valeurs du milieu, que le moi solaire refusera toute percée, toute confrontation, tout élan hors du cadre des représentations établies de l'identité, tout besoin de manger la lumière pour grandir et devenir l'individu. Tamas peut se déguiser en sattva chez Saturne, et rajas peut se déguiser en sattva chez soleil.

Se désidentifier de ce que l'on a cru être, c'est bien la démarche qui consiste à soupçonner un ego arriviste, plein de convoitises, d'idées toutes faites, d'exigences abusives vis-à-vis des autres, de la société, et plus loin de l'existence. L'ego, c'est ce qui rêve de soumettre le Réel, ce qui voudrait que la flèche du temps, la durée, devienne notre esclave et comble tous nos caprices, l'ego, c'est ce qui voudrait transformer toute l'étendue disponible en notre territoire, notre propriété, notre bien. L'ego, lui aussi, est structuré selon un amalgame: ce sont les racines des pouvoirs planétaires qui se combinent en dessous de notre moi solaire, dans une sorte de rhizome homogène très puissant.

L'ego emprunte à la Lune l'attachement au présent, à Mars l'attachement au désir, à Vénus l'attachement à la satisfaction, à Jupiter l'attachement au progrès et à l'action, à Saturne l'attachement au jugement et à l'établi, à Uranus l'attachement à l'intensité, à Neptune l'attachement à la fusion, au soleil l'attachement à sa propre image.

L'exigence spirituelle, elle, cherche confusément l'unité, et apprend à ordonner. Elle se manifeste en abandonnant les modes de saisie génériques des fonctions psychologiques, elle démasque leurs systèmes de convoitise, ou bien elle les laisse faire, en les observant, mais sans y croire vraiment. L'humilité surgit quand les deux fonctions (saturne-soleil) ont été différenciées et que le soleil intérieur plie le genou devant le Divin, en découvrant qu'il n'y a là aucune perte d'identité ou de puissance, mais bien la reconnaissance du principe supérieur du moi. Tant que ce travail n'est pas achevé, l'individu porte sur lui-même un jugement faux, soit narcissique (solaire), pour masquer ses faiblesses, soit culpabilisateur (saturnien), pour renoncer aux risques de la différenciation individuelle, et tourner en rond dans les ornières du caractère. Si l'amalgame Lune-Mercure se défait assez naturellement chez la plupart, donnant lieu à la pensée abstraite qui libère Mercure de la prégnance des sensations immédiates, l'amalgame Soleil-Saturne est beaucoup plus difficile à dépasser, puisque Mercure permet une structuration personnelle de leur combinaison, qui permet au libre arbitre de naviguer entre les alternatives qui se présentent, avec la sensation de la liberté.



2/La durée au service du Mystère

De même que la lumière d'une étoile
parvient à la terre des centaines d'années
après que l'étoile a cessé d'exister,
de même un événement déjà accompli en Brahman,
au commencement,
se manifeste maintenant dans notre expérience matérielle.
Sri Aurobindo, aphorisme 319

L'astrologie possède un caractère pratique, fondé sur l'efficacité de l'ordre de la nature, ce qu'une mentalité chinoise ou holistique comprend instinctivement (les cycles s'accomplissent dans des renversements, et le négatif accompagne le positif), mais le travail intérieur que ses principes permettent d'entreprendre dans l'absolu, permet de structurer toute la psychologie transpersonnelle et de mener une recherche sans angles morts. Nous pouvons aujourd'hui, en tant qu'humains responsables, revenir en plus grand nombre vers le travail intérieur, parce que le contrôle extérieur a échoué, et chaque jour une nouvelle preuve nous parvient, de l'échappée belle du Réel face à nos captures économiques, politiques et religieuses. La réalité s'échappe en nous menaçant de différentes catastrophes produites par notre incurie et notre imprévoyance. L'Occident croit au pouvoir de sa propre intervention sur le monde, et nous nous sommes acharnés à l'événementiel depuis cinq siècles, en laissant en jachère le monde intérieur. Aujourd'hui, l'individu qui s'est différencié en suivant les voies de la culture matérialiste finit par souffrir, et recherche l'aide extérieure de thérapeutes, devins, psychanalystes, gourous, dont la plupart sont déjà en retard sur leur époque. On peut donc perpétuer cette erreur en astrologie, et accorder à la volonté active un pouvoir qu'elle n'aura jamais, et s'imaginer qu'en suivant les phases de sa propre évolution par une pratique habile du calcul astrologique, l'univers va répondre et prendre en charge une bonne partie de notre fardeau. Cela est une erreur, car l'immuable l'emporte sur le mouvement dans le domaine spirituel, le Brahman contient tout, et les mouvements doivent ramener à l'immuable, soit la vraie nature de chaque planète intérieure, dans son principe pur.

On peut donc apprendre à se différencier correctement en quelque sorte, dans la durée, en tenant compte des cycles astrologiques, et en réfléchissant sur son propre thème, mais l'on peut aussi considérer que le Moi véritable transcende la durée elle-même, et que, quel que soit le pouvoir qu'il ait sur elle, il se satisfait de sa propre présence dans le soi, et de sa réceptivité au Divin. L'ordre temporel est donc à différencier de celui des principes, et, si l'on en croit René Guénon, la Manifestation obéit à l'inversement proportionnel. Ce qui est supérieur se manifeste en dernier, ce qui est juste psychologiquement: le Soi arrive quand tout le reste est épuisé, et le supramental quand le Soi lui-même montre ses propres limites (il est coupé de la Shakti). Si nous appliquons ce principe à la philosophie de l'astrologie, il convient admirablement bien. La fonction lunaire apparaît en premier et rampe dans l'immédiateté, elle est pure sensation. Mars s'empare du moment n'importe comment, sous la poussée du désir générique et de la jouissance du mouvement vers, il est conforme à l'animal, mais commence à choisir. Vénus se donne au moment dans le gratifiant et reconnaît en lui sa nourriture, elle idéalise la dépendance vis-à-vis du non-moi, elle est humaine et s'éprend de la durée comme source de satisfactions, et elle nourrit des attentes. Jupiter augmente le champ horizontal des satisfactions, s'éprend de l'étendue, et propose progrès et prospérité, c'est l'humain collectif, le dénominateur commun de tous les individus qui reconnaissent l'action volontaire dans leur milieu comme une ressource naturelle. Saturne structure la durée et révèle les ordres (les lois du territoire et les exigences permanentes du moi), c'est l'autorité... C'est déjà, en quelque sorte, au-dessus de l'humain, puisque nous nous plions à l'autorité, sous une forme ou une autre... Mais Uranus devient presque inaccessible consciemment et commence à nous faire rejeter toute autorité extérieure, par le bas, c'est-à-dire par des compulsions, réactions, dénis, comportements réfractaires, à nos risques et périls. Neptune nous échappe et nous fascine, nous persuade que tout se tient, sans qu'on sache pour autant tout relier dans une perception unique, alors il nous tente, par le bas lui aussi, et nous jette les succédanés de l'Unité: les addictions à l'alcool qui crée de l'homogène factice de bon cœur, à la drogue qui déchire les voiles avant que le manque les rapièce dans la torture, à la magie et l'occultisme, qui confondent à bon marché le matériel et le subtil, à une sexualité cosmique qui finit par brouiller toutes les cartes dans une onctuosité émolliente. Mercure flanque la lune en Gémeaux et le soleil en Vierge, il leur rapporte à tous les deux l'événementiel et s'élance vers le couple mars-vénus des deux côtés, Taureau Bélier vers l'Ascendant, et Balance Scorpion vers le Descendant.

Il reste Pluton, qui, personnifié, veut tout obtenir, et commence donc à suggérer des prises de pouvoir dans les mondes épais et matériels, puis dans le domaine psychologique, avec la manipulation de l'autre, jusqu'à ce que le moi soit saturé de la possession elle-même, qu'il n'en veuille plus, qu'il refuse toute nouvelle appropriation, car il possède, enfin, tout. À ce moment-là, comme la glace se transforme en eau, ou l'eau en vapeur, Pluton transmute soudain: l'avoir n'est que la procédure par laquelle le moi devient conscient de lui-même. Mais avant, il épuise le besoin d'exister pour soi par toutes les formes du gratifiant, et il se subdivise dans les autres pouvoirs qui eux aussi veulent posséder les objets conformes à leurs champs. On peut simplifier en considérant que Pluton contient toutes les puissances entre la terre et lui, qui chacune le représente dans une dimension donnée. Pluton s'exerce à l'identité par l'appropriation, il convoite le moment gratifiant et apprend à le pêcher dans l'océan des possibles, par toutes sortes de séductions, de démarches, de compétences. Il s'approprie l'amour, il en jouit, puis il s'inquiète pour les objets aimés, il s'approprie alors le ciel en convoquant Jupiter et Saturne, et il convoite le Bien et le Juste, et s'empare de sa propre image pour la figer dans un sentiment d'orgueil légitime et altier, celui de l'homme de bien, le mortel qui meurt la conscience tranquille. Puis il se lasse d'être bon et juste, rêve d'être arc-bouté contre tous et de recevoir le sceptre de la main de Dieu, et Uranus l'entraîne dans des excès d'ascèse et de débauches comme pour épuiser les possibles, et forcer les portes de l'inaccessible dans un sacrifice suicidaire. Enfin, il pressent l'unité, mais il la convoite encore et elle s'échappe, elle ne se rend pas aux arrivistes, la totalité une. Alors l'enfer se présente, comme dernier recours, et Pluton propose à l'humain des tas de marchés, il reprend les séquences uraniennes à son compte et les magnifie, il vante des pouvoirs absolus en échange d'une obédience sulfureuse et secrète, il fait miroiter des jouissances invraisemblables, encore inimaginables, en échange d'une destruction des lois du monde, par l'affirmation scandaleuse du moi, comme seul pouvoir libre brisant les interdits, les tabous, répandant l'horreur ou la perversité, la cruauté ou le mensonge... Au bout de tous ces jeux, la quête de tout pouvoir cesse, toute convoitise s'évanouit, il ne reste que le feu, l'être, qui n'a plus besoin du combustible de l'avoir pour brûler. Les espaces sont conquis, les cercles ramifiés, la durée révèle l'intemporel, l'accident aura mené à la loi, l'occasion à la règle, les tentations, vécues ou rejetées, auront révélé que la seule soif qui peut être étanchée est celle de l'absolu. Une fois l'absolu connu, il ne peut rien manquer, et c'est donc ce désir d'absolu que la ronde des fonctions planétaires finit par engendrer dans l'homme, en le soumettant sans cesse à de nouveaux désirs, c'est-à-dire, à de nouvelles contraintes. Pluton est une volonté de conscience qui, sans le soleil, s'empare toujours davantage des choses pour en jouir, aussi est-il nécessaire de l'équilibrer avec les trois signifiants qui se trouvent de l'autre côté de la terre, Vénus, Mercure et Soleil, qui récupèrent le besoin d'intensité plutonien dans une quête sans limites des vérités supérieures et des plans transcendantaux. Nous subissons un complot cosmique qui nous force à projeter des désirs d'un côté, avec les fonctions centripètes ramifiées (soleil, Mars, Saturne, Uranus) et nous oblige de l'autre, une sorte de contrepartie faite d'ajournements, à projeter des attentes (soit encore des désirs, mais passifs cette fois), avec les fonctions centrifuges (lune, Vénus, Jupiter, Neptune). Et on ne peut déjouer ce complot qu'en entrant dans le jeu des conspirateurs, car les fonctions psychologiques agissent bien à l'intérieur de nous.

L'intégration des fonctions psychologiques suit un ordre ascendant en théorie, par l'entremise de Mercure, puis, de la Lune à Saturne, les choses vont de soi. Le sujet «réfléchit» de plus en plus de situations, et il élabore de plus en plus de réponses possibles vis-à-vis des circonstances. On moule des comportements dans une résultante entre le milieu et sa personnalité, grâce à la pensée rationnelle qui ajuste le moi au non-moi, mais un jour la question de l'identité fondamentale se pose, et dépasse le cadre de la somme des signifiants planétaires, quelle que soit leur excellence particulière. Il faut maintenant reconnaître, pour placer notre étude dans son contexte historique, que le système occidental a jeté les bases d'une véritable différenciation individuelle au vingtième siècle, ce qui est incontestable pour tout observateur, ou tout exégète qui suit le mouvement de Freud à Stanislav Grov, en passant par Jung. Les croyances collectives échouées, chaque personne tente sa chance pour devenir un individu. Dès qu'on voyage, il appert que seules l'Europe et l'Amérique du Nord ont permis (au prix naturellement de désastres nombreux) à chaque personne d'essayer de «vivre sa vie», au lieu de rester cantonnée dans son milieu et ses valeurs traditionnelles. Il aura fallu étendre simultanément le meilleur et le pire dans la société, pour qu'elle permette d'une part au mérite individuel de surclasser les privilèges de la naissance, tandis que, d'autre part, chacun pouvait choisir la facilité matérialiste fondée sur l'opportunisme, et survivre ainsi par de nombreuses ruses personnalisées. Certaines survivances dynamiques, comme l'intimidation, la tricherie, l'hypocrisie pédagogique, l'abus de pouvoir, permettaient à «l'homme moderne» de tirer son épingle du jeu (sans développer la moindre conscience évolutive), tout en régnant sur un territoire personnel accru. Mais aujourd'hui, cet élargissement du jeu des forces planétaires dans les individus des sociétés avancées (signifié par la découverte de Pluton en 1930) ne suffit plus à faire tourner le monde, et, grâce aux catastrophes engendrées par l'Histoire depuis cette mise en scène du «maître de l'enfer», un retour aux forces spirituelles est possible, dans la sincérité de l'urgence. (Il arrive même que Pluton entre à l'intérieur de l'orbite de Neptune, et son propre trajet est si singulier qu'on peut s'attendre à tout avec cette énergie, tel l'ambassadeur visible de la galaxie, symbole d'un infini de possibles concentrés et assoiffés d'existence.)

Faire correspondre un meilleur vécu à une structure de base donnée est possible, et cela facilite la tâche de l'aspirant spirituel, qui peut recourir à l'astrologie. Elle peut devenir un merveilleux outil d'évolution, en hiérarchisant les «organes» psychologiques, en leur attribuant un secteur privilégié, et même en les déployant structurellement dans la durée, ce qui réjouit l'intelligence. Mais cela peut être aussi l'arbre qui cache la forêt, si le mental en récupère la connaissance. Bénéficier de la synchronicité, et agir à des moments propices pour investir un pouvoir planétaire, cela va de soi et peut favoriser l'inspiration, évaluer des priorités dans le traitement des fonctions psychologiques, grâce à une compétence acquise en calculs cycliques, cela constitue une avancée pragmatique non négligeable. Néanmoins, comme on ne peut pas passer sous silence le nombre d'êtres humains qui se sont réalisés spirituellement (et devenus des instruments de l'univers non-manifesté pour améliorer l'existence) sans être jamais passés par l'investigation psychologique et astrologique, il convient de recadrer cette démarche comme un moyen seulement... Et admettre que l'essentiel tient dans la philosophie de l'astrologie, que n'importe quel éveillé a pu pratiquer sans s'en rendre compte, dans la mesure où elle décrit toutes les étapes de l'initiation, en les formulant seulement dans un autre cadre. Transposons les planètes dans le moi, en leur enlevant leurs majuscules, elles deviennent ainsi des fonctions internes.

On peut décrire le processus dans ses grandes lignes: Désamalgamer lune/mercure, désamalgamer soleil-saturne, apparier mars/venus et sublimer le désir, dépasser le jupiter générique du Sagittaire en le déplaçant symboliquement dans les Poissons pour servir le maître intérieur, (l'appropriation de l'étendue se transforme en reconnaissance de la souveraine Totalité) intégrer saturne, soit incarner le dharma, puis équilibrer Uranus Neptune, soit le transmettre, Enfin, dé-couvrir le soleil involué et rayonner l'être.

Il est nécessaire de transformer ses propres tendances, par une ascèse radicale, et les nommer avec la précision trompeuse des mots, permet seulement d'esquisser les grandes lignes du travail en éclairant l'esprit, en le persuadant que c'est possible, que des lois d'évolution gouvernent la matière animée, et que le statut humain permet une réelle exploration des modalités de la Conscience, jusqu'à en retrouver les principes premiers, cachés dans des univers libérés de la flèche du temps. J'insiste sur le fait qu'il est nécessaire de respecter les règles du jeu cosmique pour déboucher dans les espaces supérieurs, et je suis certain de ne pas contredire Sri Aurobindo en postulant, même si cela est dit différemment, que la réalisation spirituelle n'est rien d'autre qu'une sorte d'homologation du Moi par l'univers. Cette formule plairait également à rené Guénon, aux soufis qui respectent l'exigence de Dieu, aux Kabbalistes initiés qui savent que la porte est étroite, aux vrais chrétiens, assez lucides pour rejeter le dogme et agir par l'Amour. En revanche, ce concept, être homologué par l'univers, va gêner aux entournures les uraniens, qui tremblent à l'idée de se soumettre, même au Divin, et cependant je suis certain de ce que j'avance, c'est le Divin qui choisit de se révéler, et non notre liberté, même supérieure, qui peut Le soumettre. Au lieu de me répandre, comme Nisaggardhata, dans de belles formules ronflantes sur l'identité du moi et de l'absolu, ce que je trouve pour ma part d'une emphase vraiment infantile, en tout cas archaïque, je veux avancer que trouver le Brahman, le Soi, réaliser l'identité de l'Atman et du Brahman, ne consiste en rien d'autre qu'être homologué par le cosmos comme être à part entière. Je trouve stupide de faire de ce saut dans l'absolu quelque chose d'extraordinaire, puisque c'est alors la meilleure manière de reconstituer du mythe autour de l'expérience qui les abolit tous, et fournit le Réel clés en mains. Cette réalisation, dont j'ai traité certains aspects historiques dans «la racine de l'éveil», cet accomplissement que Dane Rudhyar reprend à son compte, que Jung pressent comme une différenciation aboutie du moi passant à autre chose, l'ordre à proprement parler spirituel, met en contact le sujet incarné et biologique avec un univers d'un autre ordre, qui n'a aucune raison d'être «perçu» si le sujet ne se consacre pas pleinement à cette tâche. Pour Lao-Tseu, l'impalpable peut être saisi, l'invisible vu, l'insipide goûté, une allusion, parmi des centaines d'autres répandues par les maîtres, qu'un autre monde sensible existe au-delà du monde sensible naturel. Il s'agit donc bien de traverser les juridictions des pouvoirs planétaires en nous, pour les débouter de leurs objets, de leur quête incessante, et de les rassembler en une seule aspiration qui transcende tous les mouvements d'appropriation actifs (les désirs) et tous les mouvements d'appropriation passifs (les attentes). Or, les fonctions psychologiques travaillent exclusivement pour ces deux types de mouvement, puisqu'elles agissent dans la durée, par la durée, pour la durée. Il y a donc une condition à remplir pour basculer du côté de la vérité pure, de l'absolu, de l'intemporel, de l'unité sans jointures, c'est en finir avec la soif des objets, qu'elle se projette dans l'appropriation conquérante, ou qu'elle se cultive dans l'attente religieuse par exemple, ou le calcul d'obtenir une immortalité personnelle par du renoncement à l'expérience subjective. Les fonctions psychologiques rajasiques s'emparent du moment et de l'étendue, et sont considérées comme dangereuses depuis l'Antiquité grecque en Occident, et depuis plus longtemps encore en Orient, comme étant susceptibles d'attacher le moi au non-moi par les passions et les attachements. Mais les fonctions psychologiques tamasiques peuvent en revanche soustraire le moi aux facteurs chaotiques et hétérogènes de la durée, qui précipitent dans l'expérience de sa propre vie, tout en déroulant une existence «vécue par procuration», mesquine, sans idéal, sans transgression des cercles aliénants, sans besoin de goûter l'existence pure, et les saveurs spirituelles de la consécration, c'est-à-dire sans transformations. C'est la raison pour laquelle la position de Saturne doit être inspectée, car ce pouvoir sait fermer les portes à tout ce qui peut déstructurer l'ego, et qu'il aime enraciner des certitudes.

Présenter donc l'Immuable comme la Vérité, tels que le font tous les maîtres du Soi, constitue un paradoxe surprenant, puisque la flèche du temps nous manipule admirablement bien. À travers les mouvements de Mars, assez brutaux et francs, les aimantations de Vénus, qui attire du gratifiant au lieu de s'en emparer, tandis que Jupiter propose des expansions exponentielles et que Saturne élabore sans discontinuer des filtres toujours plus précis et étroits pour juger de la pertinence des événements ou des dispositions intérieures. Quant à la lune, elle agit avec une rapidité déconcertante, nous permettant (que le moi veuille ou non le reconnaître) d'éprouver des émotions immédiates en conformité avec l'âme du moment. Et si, par-dessus le marché, on stipule que Mercure pense à la vitesse de la lumière, il semble qu'il n'y ait aucune échappatoire à l'emprise souveraine du temps sur notre appareil psychologique. Tant pis, nous supposons que la vitesse peut déboucher sur l'immobile, si cela lui chante, par une consécration absolue, par «le retour», et peu importe d'où vient l'engagement exhaustif... D'une brusque intuition de la mort inévitable, d'un retour d'intégrité du moi sur lui-même, d'un amour déjà présent qui se lasse des objets et cherche le seul objet absolu, d'un besoin d'être utile au cosmos en amont des modes particulières, d'un goût immodéré pour l'intelligence, qu'on devine finalement à l'œuvre dans toute chose, d'un besoin radical d'être conforme à la Vérité... Peu importe ! A posteriori, on peut jouer à créer un discours, et se rendre compte que tel dépassement du sentiment de viscosité entre le moi et le non-moi correspond à une transformation lunaire: Les émotions s'éclairent, elles sont moins intempestives d'une part, et révèlent d'autre part spontanément du sens par leur sobriété même, alors qu'au départ les négatives obstruaient le chemin, maintenant, au contraire, parce qu'elles sont acceptées sans être redoutées, alors qu'on s'y abandonne moins volontiers, elles pointent les problèmes psychologiques, et cessent de les noyer dans les drames. L'apprivoisement du désir et de la colère appartient au fer de lance de mars, qui assujettit à l'expression brute de la nature, et demande souvent des années d'attention. Certaines retenues, qui autrefois pouvaient engendrer des frustrations, sont maintenant acceptées comme des contraintes consenties, et jouent en faveur d'un progrès caché, tandis que le moi découvre la nécessité du sacrifice et s'y plie. La cessation de la demande d'approbation et le renoncement à la séduction amoureuse représentent une mise à jour de vénus, parfois difficile pour les êtres yin, qui obtiennent en suggérant plutôt qu'en demandant, mais le moi découvre ainsi qu'il peut compter sur lui-même, et qu'il a moins besoin des autres que ce qu'il croyait. L'abandon (de vouloir exercer) toute séduction valorisante implique un jupiter dégraissé de son opportunisme rampant, ce qui demande de renoncer à des comportements directifs et à des masques opportuns. Le moi cesse de se glisser dans le personnage qu'il sait qu'on attend de lui, quitte à perdre du territoire au profit d'une expression plus sensible, qui le renvoie à ses aspirations supérieures. Le refus de manipuler quiconque signifie une rectification de saturne, tandis que la possibilité de se voir soi-même sans complaisance appartient à un soleil qui veut regrouper les tendances centrifuges et centripètes dans une harmonie transcendantale.

Quant au travail qui correspond à la transformation entière du saturne générique, il ne peut être abordé en quelques mots, il est difficile, retors, permanent, et l'adversaire aime humilier l'évoluteur, comme un excellent maître d'arts martiaux qui forme un champion. Passer par de la culpabilité envahissante, ou de la dévalorisation profonde, peut être une stratégie de ce pouvoir pour démanteler les habitudes de saisie du réel par les autres tendances. Saturne est capable de faire éprouver, à un moment donné, de la honte au sujet, et si ce dernier décide alors de se désidentifier des mouvements qui provoquent ce regard sur soi, la crise devient un guide, et Saturne un maître. Normalement, une partie de la fonction solaire reste intacte malgré les attaques, et, à la sortie de la crise, le moi se sent plus intègre, plus fort, plus lumineux, plus inconditionnellement vivant et maître de lui-même. En revanche, si la fonction solaire est également écrasée dans son ensemble, le patient refuse de porter le fardeau d'une identité personnelle qu'il juge inaccessible, et des processus morbides peuvent apparaître, menant vers l'auto-destruction, tandis qu'ils aimantent les fréquences les plus basses des énergies trans-saturniennes pour plonger l'expérimentateur dans des zones interdites et régressives. On peut supposer que dans ces cas extrêmes, les comportements demeurent conformes aux réseaux planétaires du thème radical, l'auto destruction s'appuyant sur la provocation systématique avec Uranus, et le rejet de toute valeur collective, tandis que des actes dangereux mènent à la folie d'un moi simultanément déstructuré et triomphaliste dans le mal. Neptune fait régresser dans toutes sortes de comportements fusionnels délétères, et Pluton écrase le sujet sous le poids de la matière isolée du reste. La vie peut alors sembler une excroissance ridicule du rocher, vouée à se repaître des sensations les plus élémentaires, sans but ni orientation. Mais cette descente aux enfers, paradoxalement, peut déboucher sur des stratégies de survie inconscientes. Le moi, parfois, comprend qu'il peut refaire le chemin vers le haut, et redécouvrir au fur et à mesure, de par son propre fait, tout ce qu'il a perdu.

Heureusement pour l'évolution, la mort n'a pas forcément à être traversée de cette manière-là pour permettre une renaissance spirituelle. La défaite de l'ego s'obtient aussi par toutes sortes de procédures fondées sur la sincérité de l'aspiration, et qui ne peuvent donc être calculées à l'avance. La discipline intérieure, si elle ne s'appuie que sur la volonté d'obtenir des résultats, ne mène pas à l'éveil. Le soi est alors seulement considéré comme un prolongement du moi dont il faut forcer la résistance, et cette technique échoue toujours, ou bien elle produit des contrefaçons, nombreuses dans les voies dévoyées du zen, et qui apparaissent également dans certains courants hindouistes, qui ensevelissent le sujet sous des prescriptions permanentes. Pour devenir le Brahman, qu'en fait on a toujours été, c'est la qualité de l'amour porté à la totalité (non réfléchie intellectuellement) qui soutient les épreuves. Les personnes qui n'ont pas assez d'envergure pour reconnaître la souveraineté du non-moi sur leur propre existence restent bloquées dans une attitude d'instrumentalisation précise du moment pour parvenir à leurs fins, l'éveil, la connaissance de Dieu, ou la Vérité, et limitent le champ de leur perception sous prétexte qu'elles savent déjà comment l'augmenter. Elles décident que le réel doit se conformer à la carte qu'elles en dressent, et courent à chaque instant vers la prétendue sortie, ce qui empêche l'immersion dans le présent pur, qui lui, ne se dirige nulle part.

Bien qu'il soit évident, à cause de simples lois électromagnétiques, que des moments soient plus favorables que d'autres pour aborder le caractère dans ses aspects particuliers, il ne s'agit là que d'opportunités pour entreprendre un travail, et, en fait, parce que l'homme a perdu la lumière depuis des milliers d'années, c'est plutôt dans les moments défavorables que le sujet humain se met aujourd'hui en quête de sa structure essentielle, ensevelie et déclinée dans chaque moment de la flèche du temps, la durée qui s'écoule. L'adaptation par l'urgence pousse le moi dans ses retranchements, et confère à Pluton sa signification.



3/Fonder le soleil comme le maître de l'unité intérieure

Nous pouvons espérer agrandir continuellement
Notre moi d'intelligence
Et même briser les murailles
Qui emprisonnent notre mentalité physique enfermée dans la matière.
Sri Aurobindo, la vie divine.

Je tiens à terminer l'exemple que j'ai déjà donné du soleil, dont la signification est variable d'une école à l'autre, et c'est parce que j'ai décidé moi-même de modifier certains critères de l'astrologie, que j'ai fini par découvrir que ses principes annonçaient une possibilité nouvelle, si l'on était capable de comprendre que le thème était dialectique, et non linéaire, et possédait des qualités émergentes, dont le sens sera indiqué plus tard. Certaines qualités de conscience n'apparaissent qu'après de longues confrontations signifiées par des angles particuliers entre les planètes, ou de longs apprentissages naturellement positifs, puisque, si tout se tient, notre thème natal est conforme au cosmos. Ce dernier est plus puissant que nous, plus conscient que nous, il n'est pas écartelé comme nous le sommes nous-mêmes entre la conscience de l'étendue (qui fonde la préservation animale du territoire et les modes d'appropriation de la matière), et la conscience du temps, dont l'esprit s'échappe avec ses contrefaçons perpétuelles (la virtualisation du passé et de l'avenir, dans un présent impur, souillé de fantasmes et de mémoires difficiles...)

Il est impossible de cesser notre évolution, puisque les ressources du thème radical, soit les manifestations des fonctions suivantes sont inépuisables, en fréquences d'énergie et qualité de conscience: soleil, Uranus, Neptune, Pluton. Intégrer harmonieusement ces quatre pouvoirs, faire en sorte que la lumière solaire ne soit pas absorbée jusqu'à saturne, mais qu'elle transparaisse au-delà de lui après avoir éclairé les fonctions précédentes, sans s'y laisser emprisonner, n'en faire qu'un, en quelque sorte, cela paraît impossible en une seule existence, à moins, justement, que le supramental ne finisse par permettre une longévité largement accrue et un nouveau type de conscience spirituel-matériel, en balbutiement aujourd'hui.



4/Une sorte de péché originel

La loi du subconscient et de la chimie intérieure.
La structure du système fait apparaître que «les dés sont pipés».
Les fonctions psychologiques se manipulent les unes les autres.

C'est donc l'individu qui cherche l'être psychique en lui qui devient conforme au cosmos, et cela ne peut se faire dans le respect quelconque des lois du groupe, qui suit des objectifs plus superficiels, ni dans l'attachement à réussir selon les modes naturels de l'appropriation du gratifiant. Le sujet qui ne transforme pas la fonction lunaire reste attaché à l'idée que ses vrais parents sont ses géniteurs, et il ne peut se soulever suffisamment au-dessus de l'immédiateté pour reconnaître dans Ishwara, le Seigneur, son propre père, et dans Aditi ou la Mère divine, sa propre mère. Si Sri Aurobindo a raison, c'est l'évolution elle-même qui condamne ce qu'on pourrait appeler une humanité simplement animale, incapable de jouir des fonctions supérieures de transformation procurées par Mercure et Soleil, une fois qu'ils ont traversé les fondations de la nature. La capacité du moi à se libérer des contraintes de la gravitation, la ronde des événements qui fournissent accidents et occasions, ne peut être symbolisée que par le soleil. C'est autour de lui que les fonctions psychiques s'organisent, car tout moi est obligé de se connaître tant soit peu lui-même, ce qui l'oblige à organiser les couples mars-vénus et jupiter-saturne dans un ordre vertical, contraire à l'ordre horizontal. Si vers l'extérieur mars et venus collaborent, vers l'intérieur, c'est mars qui va avec saturne. Ensemble, et d'un commun accord, ils instrumentalisent l'objet au service du moi (et peuvent donc manipuler vénus). Le fameux renversement de l'amour en haine, les divorces ordinaires où l'ancien couple se déchire, attestent de ce retournement toujours potentiel de mars, comme un scénario de trahison éventuelle toujours disponible, pour ramener le moi à lui-même quand il ne se reconnaît plus dans l'altérité.

Si jupiter et saturne fonctionnent comme un couple vers l'extérieur, coulant les formes et les organisations dans un système de rouages qui manifeste une structure donnée homogène, dans le monde intérieur, vénus accompagne jupiter et ils se fondent l'un dans l'autre pour sacrer le non-moi et l'altérité comme sources de nourriture, principes d'évolution, et font même du moi, ensemble et d'un commun accord, un objet pour l'amour, un disciple pour le maître, un instrument au service du Divin. Jupiter trahit saturne, qui est enseveli ou tout simplement rejeté, ou encore placé en bout de chaîne, et il assume alors sa fonction de manière perverse: il engendre l'obéissance du sujet les yeux fermés, la «soumission» par exemple, fondée sur l'identification abusive, qui vit la perte du libre arbitre comme une apothéose, alors qu'il ne s'agit, bien entendu, que d'une régression: le moi se perd dans l'identification rassurante au maître qu'il sert, et peut refuser de se connaître lui-même, au bénéfice de cette soumission protocolaire. Quand Sri Aurobindo parle de soumission au Divin, il évoque un principe qu'il connaît déjà et qui le guide déjà. Il reçoit les instructions du Divin dans une personnalité qui a été transformée par des expériences de tout premier plan. La mystique, qui se soumet au Divin, ne peut être tentée que par ceux qui cherchent l'être en eux-mêmes, pour les autres, elle constitue une fuite idéale, un rejet de soi-même maquillé en amour de Dieu, une tendance culturelle immensément répandue en Inde, et que Gautama a attaqué de front. Libérer l'humanité des soi-disant ordres de Dieu, afin qu'Il se manifeste de l'intérieur, au prix d'une expérimentation intense et exploratoire du réel, voilà ce que prêchent vraiment les avatars: la pratique personnelle. L'amour pour le Christ, le détachement pour Bouddha, la célébration pour Krishna, la reconnaissance absolue du Mystère pour Lao-Tseu, ce qui permet au moi d'être absorbé dans le Tao en s'étant débarrassé de tout le superflu. Vu que les voies essentielles de la spiritualité ont été fournies (je me permets d'en omettre quelques-unes que je connais moins) sans interruption depuis la perte du Veda, la seule explication rationnelle au peu d'empressement de la nature humaine à appliquer la recherche transcendantale me semble tenir dans la constitution même du fonctionnement bio-psychologique.

Le schéma mérite d'être réfléchi, car on y trouve à la fois l'échec global des religions, saturne ne pouvant pas devenir un principe intérieur chez les croyants (ils n'atteignent pas leur propre loi), tandis qu'en sens inverse, chez les intégristes, le non-moi n'est pas vécu comme un principe supérieur auquel se conformer, mais telle une simple propriété personnelle à modeler, une extension de sa propre identité. Si l'idéalisme (vénus, jupiter, neptune) empêche d'être soi car l'on se projette sans cesse dans des objets et valeurs extérieures, sous prétexte qu'ils sont parfois transcendantaux; le culte inverse, celui de la différenciation personnelle (mars, saturne, uranus) fonde le non-moi dans le moi et l'y incorpore, puis soumet la totalité aux prérogatives du sujet, ou l'instrumentalise, ce qui empêche que certains aspects, les plus profonds, en soient découverts. Avec le jeu des trahisons potentielles, mars abandonnant vénus pour saturne, et jupiter abandonnant saturne pour vénus, les processus d'identification et de différenciation sont tous les deux soumis à des renversements intempestifs, mais radicaux, qui tombent sous la juridiction de la nature elle-même. Ce sont les glandes qui modifient la chimie du cerveau et affectent automatiquement les contenus psychologiques. Passer de l'amour à la colère, du respect à l'intimidation, de l'avertissement à la réprimande puis au châtiment, sont des processus archaïques, mais équilibrant. C'est ainsi que la vie maintient son cap dans l'homme: s'il se perd hors de soi, des émotions le rappellent à lui-même, qui repoussent les objets du non-moi qui ont provoqué cette perte, et une sorte de retour à une intégrité grossière s'effectue, qui préserve le caractère. Mars rejette vénus et se soumet à saturne. Si le sujet se trouve faussement dans l'altérité, il s'abandonne lui-même et se confond puis se laisse absorber par une identité supérieure à lui-même, à laquelle il se soumet par des processus imaginaires. Il abandonne la reconnaissance de sa propre identité pour participer à une identité plus large, censée lui donner son nom, son rôle sa place. Dans ce cas, la structuration saturnienne intérieure tourne à vide, jupiter et vénus la phagocytent puis l'absorbent. Le moi aura l'illusion de vivre dans l'unité, en piétinant tous les choix qui se présentent, jusqu'à vivre dans une idolâtrie scrupuleuse, les valeurs de sa secte, de sa nation, de sa culture politique, de sa religion, ou même de son «enseignement spirituel».

La navette entre le moi et le non-moi, le percevant et le perçu, le sujet et l'objet, obéit à des règles précises, qu'il est difficile de transformer. Sans équilibre, s'identifier au non-moi, ou s'identifier à soi-même, maintient dans l'ignorance, et creuse des sillons pervers de réactions quand le cap exclusif se perd. Les partisans des pouvoirs centrifuges sont rappelées à l'ordre par de nombreuses déceptions, mais ils ne savent pas forcément en tirer les leçons, et continuent de se disperser dans l'objet malgré une série d'échecs, jusqu'à créer une seconde nature, celle de la victime. Le philosophe de l'astrologie a toutes les chances d'associer ce type de scénario à une prépondérance subie sans conscience réelle de l'amalgame (lune-vénus-jupiter-neptune). La sclérose de la projection systématique entraîne de nombreuses émotions négatives dont le but évolutif est de permettre au moi d'émerger dans la souffrance, en revendiquant autonomie et indépendance. A l'inverse, le refus de se soumettre à la réalité, à la totalité, puis au Divin, fossilise la volonté personnelle, qui cultive les angles morts du non-gratifiant, pour échapper aux secteurs incontrôlables, qui pourtant révèleraient le fonds même de la réalité, c'est-à-dire ce qui est essentiel. Dans ce cas, il est probable que l'amalgame de différenciation (soleil-mars-saturne-uranus) joue, comme dans le jeu de go, à emprisonner les puissances d'ouverture. Les échecs subis vis-à-vis de l'altérité n'ont pas d'autre fonction que celle de la réhabiliter, en révélant sa véritable souveraineté, niée par la politique abusive de l'ego différencié. Les trahisons de mars, changeant de partenaire sous le fléau des circonstances, et celles de jupiter décapitant saturne pour se fondre dans l'indifférenciation vénusienne qui dissout l'intégrité individuelle dans le non-moi, servent l'évolution, en obligeant le sujet à toujours prendre en compte, sans échappatoire, qu'il est un sujet en relation avec l'objet. Dès que le sujet se prend pour le tout sans s'y conformer, la trahison se produit pour le rappeler à l'ordre, et rétablir le non-moi comme réalité suprême, et non pas seulement comme le prolongement, l'extension du moi. Dès que le moi s'annihile dans l'objet, la trahison se produit, pour que le moi puisse revenir à sa propre différenciation, et sortir de l'emprise émolliente et exhaustive du non-moi.

A chaque moment, le sujet peut se considérer comme un objet compris dans un ensemble plus vaste, et ce sont dans ces processus-là que la question d'intégrité du moi se pose. Le moi (absorbé dans un ensemble) ne s'exprime plus dans une indépendance de principe qui lui permet de se distinguer du non-moi (et de le considérer extérieur à lui), il ne fonctionne plus dans une autonomie décisionnelle, ni même dans un contrôle. S'il prétend «aimer» un objet, un être, un dieu, un itinéraire, le moi en dépend, car il s'unit à lui... La question de l'identification constitue le cœur même de la psychologie, et toute notre existence est fondée sur les valeurs que nous reconnaissons. Une recherche profonde de notre être nous pousse donc à nous demander si certaines valeurs ne sont pas choisies par les tendances planétaires, à notre place, dans une mécanique subtile qui nous échappe. Chez la plupart des êtres humains, les valeurs semblent provenir d'une réflexion du libre arbitre, mais je suis convaincu, comme Sri Aurobindo, qu'elles émergent à l'insu de l'être psychique, comme les simples pouvoirs supérieurs d'adaptation du mental au territoire écologique. Cela explique que le soi-disant amour devienne bientôt possessif et s'approprie l'être qui reçoit le désir du sujet, (mars renie vénus et se soumet à saturne), que la soi-disant défense de la vérité engendre crimes et massacres à grande échelle (jupiter renie vénus et se soumet à saturne), que notre soi-disant liberté, qui veut toujours le mieux telle qu'elle est décrite depuis les philosophes grecs qui ont soutenu notre civilisation, et qui a ressuscité depuis le 18e siècle, ne produise que des êtres aliénés à leur famille, à leur milieu, à leur société, ou encore, à leurs croyances, ce qui revient exactement au même (soleil renie jupiter et se soumet à la lune).

La notion d'individu n'a jamais vraiment eu droit de cité en Inde, puisqu'il s'agit avant tout d'être identifié à un rôle, joué scrupuleusement, d'être infeodé à une morale exigeante et pointilleuse, d'adhérer non seulement à une religion mais à un de ses aspects particuliers qui impose, chaque jour, des devoirs vis-à-vis d'une divinité de prédilection. En caricaturant, la culture indoue est si codifiée que l'individu n'échappe pas à une nasse particulière qui le retient dans un comportement final obligatoire, dans laquelle toute la vie devra tenir, quitte à éviter la liberté de l'esprit et celle de l'action. La crainte de déroger aux lois cosmiques est enracinée (sauf chez une rare élite spirituelle qui ose l'expérience de la confrontation du moi à ses caractéristiques génériques), et limite l'expérience possible du jeu planétaire intérieur. Krishnamurti, déjà, avait pointé dès son adolescence la maladie collective de la psyché indoue, l'idolâtrie de la conformité, en préconisant un retour à la conscience intérieure, délivrée de la toute-puissance de la crainte du karma, et de l'autorité toute faite des écritures, condition nécessaire pour réhabiliter une authentique approche du présent pur. Dans un tel contexte décadent depuis les Veda, valoriser le soleil et sa position pourrait être conçu comme une incitation à l'insolence, à l'orgueil, à la fatuité, à l'usurpation d'une indépendance individuelle, dans un univers où chaque événement dissimule une règle. Mais comme nous abordons un nouveau cycle, avec la manifestation supramentale, nous pouvons au contraire prêcher une nouvelle parole, sans rien reprocher aux astrologies antérieures, ni aux cultures les plus sacrées, et décréter seulement que le Divin peut devenir accessible en s'appuyant sur moins de pratiques, en respectant moins de règles, remplacées par une aspiration intense, qui s'occupe de chaque moment. Le soleil devient alors, dans notre thème, le symbole du Divin involué en nous, qui regroupe ses propres qualités en dépit de l'écartèlement centrifuge du moi vers le non-moi, avec la fascination de l'altérité (lune, vénus, jupiter, neptune) et les forces d'opposition centripètes, entrelacées en quelque sorte, avec (mars, saturne, uranus).

Nous élargissons alors les critères de l'astrologie pour les refondre dans une philosophie supramentale, qui explique le jeu de l'unité à travers des antagonismes, complémentaires ou opposés, selon la conscience du sujet d'une part, et les moments relatifs aux cycles d'autre part.

L'objet de la quête suprême tient dans une réalité toute simple, qui obéit aux lois physiques et biologiques. L'individu parviendra-t-il à inclure les fonctions hétérogènes des planètes, dans la mesure où chacune cherche, tout en travaillant pour le tout, à se servir d'abord en premier? Cette vision naît d'une réflexion scientifique sur les «propriétés générales du Système», cette nouvelle science née de la cybernétique, et qui s'emploie à définir les règles, dans le sens de contraintes, qui naissent au sein de tout ensemble, par la simple accumulation des facteurs qui le composent. Chaque facteur possède son propre esprit, doit le conserver en dépit de la pression des autres facteurs, et doit le manifester pour l'ensemble, et l'orienter vers le tout. Ce principe saute aux yeux dans l'évolution, puisque selon les climats, les mêmes espèces développent des particularismes, qui font changer la forme ou la prépondérance de certains organes, et nous savons aussi qu'au sein de tout groupe humain, la place de chacun est variable, qu'il n'existe pas de hiérarchie réellement figée, et que la personnalité propre de chaque individu dans son rang peut créer des turbulences dans l'ordre général. Bref, le fait qu'apparaissent des limites, des frontières, entre le tout et chaque partie qui le constitue engendre, dès le départ, d'immenses variations potentielles, que la vitesse du temps suffit à produire. C'est cette vérité qui échappait à la pensée du dix-neuvième siècle, qui croyait à des ordres mécaniques rigides, le rôle perturbateur inné de la durée n'ayant pas encore été découvert. Le fait que le temps passe est suffisant pour apporter toutes sortes de ruptures, de chaos, de fractures dans les ordres les mieux établis. La durée agite l'univers à une telle vitesse que le flux transforme le champ en permanence, selon des lois dont seules les plus évidentes apparaissent, qu'elles soient les plus régulières ou les mieux observables.

APPROCHE TECHNIQUE 05 LA MARGE D'AUTONOMIE DE CHAQUE SIGNIFIANT DÉSORGANISE PARFOIS LE SYSTÈME GÉNÉRAL.

L'émotion peut se cultiver elle-même, emprisonnant l'ego dans la susceptibilité pathologique, comme si une partie de la lune avait décidé de ne travailler que pour elle-même et de récupérer tant faire se peut Mercure, mars et vénus. Le désir aussi, cherche à se poursuivre et s'approuver lui-même s'il perd l'équilibre avec vénus et saturne, et il ne supportera plus la moindre frustration s'il devient un pouvoir autonome. Les sentiments se nourrissent d'eux-mêmes, puisqu'ils dilatent, avec une illusion d'optique, le sentiment du moi en le dispersant dans d'autres personnes qui deviennent un miroir pour le sujet, ce qui permet alors à la nature de légitimer des demandes et des attentes vis-à-vis des êtres chers. Une vénus boulimique guette l'approbation d'autrui et exige sans cesse, comme si elle marchait sur le territoire de saturne pour rester dans l'illusion que le non-moi doit devenir du moi par introjection (appropriation intérieure de l'autre). De graves confusions sur la qualité de l'amour en découlent, et si vénus soumet la lune, la perte de toute objectivité se profile à l'horizon. Les développements tendent à s'accroître par principe sans trouver leurs limites, comme l'atteste la quête insatiable de richesses, même chez les plus riches, et de notoriété à étendre sans cesse pour les fortes personnalités. Jupiter, en quelque sorte, peut s'enivrer de l'esprit de l'étendue, ne la percevoir que dans un espace matériel, dont il justifiera sans frein l'accroissement, en empiétant sur saturne, ce qui donne toujours les mêmes résultats, opportunisme, corruption, double vie, besoin d'un train de vie supérieur, insatiabilité. La rigueur risque de se courtiser elle-même jusqu'à se fonder en une seule autorité qui ratatine les possibles en élaguant toutes les formes de chaos, toute manifestation d'hétérogénéité, jusqu'à surplomber le réel depuis un monde factice, qui le supplantera en sacrifiant toute nouveauté dans les sensations et le ressenti... Saturne a toujours de bonnes raisons de fermer, de refuser, puis de condamner, il devient facilement envahissant et tyrannique chez les personnes qui ne parviennent pas à sentir que le moment neuf, loin d'être une menace, enrichit par son imprévisibilité, tout ce qu'il suggère si on sait l'écouter et l'observer. Enfin, le besoin d'être soi peut s'emmurer dans l'orgueil, ce qui instaure une dualité constitutionnelle entre la volonté du sujet et le champ de l'altérité, ou bien il peut se perdre dans le culte de soi-même, en s'essayant à une surhumanité fantaisiste. Toutes sortes d'inflation subjectives peuvent récupérer les pièces éparses des ego particuliers à chaque fonction planétaire, pour forger une image de soi homogène, à la perfection illusoire, entretenue par un système de valeurs inventées circulant en circuit fermé.

Dans cette perspective, que nous préférions voir les choses à partir des guna ou des pouvoirs planétaires, peu importe, le jeu de la succession se dessine comme une grande horloge, qui met en avant des tendances dans un moment donné, en réprime d'autres, et tout l'événementiel, cyclique ou non, apparaît finalement comme l'occasion toujours changeante de refléter les exigences du moi intérieur, qui aspire à devenir le Moi de l'univers, le Divin, qui s'ouvre à se dévoiler lui-même. La flèche du temps peut, si nous n'avons pas peur des mots, être instrumentalisée par le Divin. La durée qui passe par le seul instant devient le grand partenaire de la transformation intérieure: elle distribuera avec équité les accidents et les occasions, les évasements et rétrécissements d'itinéraires, les raccourcis et les détours. Nous avons aujourd'hui la preuve que ce processus a eu lieu en la personne de Sri Aurobindo, en la personne de Mère, qui se sont affranchis sur de nombreux plans de l'impact de la durée, tout en utilisant son matériau. Le but ultime est d'ancrer l'éternité de la Conscience suprême dans l'espace-temps, ce qui pourrait éventuellement permettre au corps physique d'atteindre une longévité incroyable, ou même de se transformer de l'intérieur, par le supramental involué, et de l'extérieur, par le supramental répandu dans l'atmosphère.



5/Bilan astrologique...

Remontons, nous invite Plotin, à cette disposition que nous attribuons à l'éternel-originel, absolument positive, celle d'une vie immuable, donnée tout entière à la fois, infinie, ne penchant absolument d'aucun côté, en repos dans l'Un et tournée vers l'Un. Comment dès lors — ces êtres reposant en eux-mêmes — en est tombé le temps? Ne pouvant le demander aux Muses, on interrogea le temps lui-même, l'invitant à se réfléchir, et voici ce qu'il dirait: avant d'avoir engendré l'antériorité et de lui avoir lié la postérité, il se reposait dans l'Etre, n'étant pas le temps, et se tenait lui-même immobile.
François Jullien, du mal/du négatif

Le premier piège à éviter dans la pratique d'astrologie évolutive, c'est donc de respecter un système donné, de s'imaginer qu'il contient tout ce dont nous avons besoin, et d'en appliquer les principes en faisant abstraction de son propre ressenti, indispensable dans une consultation qui met en présence deux individus. Et avant de pouvoir prétendre révéler à un autre son thème, il est nécessaire d'avoir œuvré soi-même à l'intégration des énergies planétaires, dans le cadre d'une alchimie personnelle, qui ne s'embarrasse pas de jouer à l'extérieur, mais embrasse, déjà, certains caractères immuables de la conscience, à partir desquels le mouvement de la Manifestation se démystifie plus facilement. Même s'il est tentant, par exemple, de se spécialiser en astrologie humaniste, vu l'immense apport de Dane Rudhyar et d'Alexandre Ruperti, il n'y a pas de raison d'éviter de piocher ailleurs des trouvailles, des vérifications empiriques, et même des découvertes, puisque nous sommes déjà loin, trente ans plus tard, de l'astrologie humaniste, qui s'est inscrite dans une période où la fréquence vibratoire terrestre n'était pas aussi élevée qu'aujourd'hui. Les concepts transcendantaux se comprenaient plus difficilement à l'époque, Uranus envoûtait les chercheurs en leur donnant la force de se battre pour une véritable différenciation libératrice, mais c'était encore trop tôt pour l'apparier (pour équilibrer) à Neptune ipso facto, et si les adeptes intelligents savaient se différencier, grâce à la compréhension du système, peu rejoignaient la fusion neptunienne avec la totalité, qui s'exprime à son sommet par une soumission au Divin, peu savaient réellement lâcher prise dans tous les secteurs, et ils usurpaient parfois le pouvoir au nom de la connaissance. L'ego spirituel se bâtit facilement sur le cadavre de l'ego générique, mais il fonctionne sur le même principe: des individus qui se croient supérieurs, dés qu'ils ont quelque chose à défendre, tombent dans le même travers que les êtres ordinaires, la préservation de leur territoire, matériel ou philosophique, social ou spirituel, par des postures qui les campent dans une infaillibilité de principe. Ce jeu empêche l'immédiateté de faire son travail d'échanges permanents entre des êtres déjà évolués, enraye les véritables communications, et tue dans l'œuf des réflexions communes et des stratégies de groupe efficaces. J'ai vécu le même phénomène, la posture dogmatique uranienne, avec les Auroviliens de la fin des années 1970, arrogants et réfractaires, et avec un éveillé s'autoproclamant le meilleur de tous dans les années 1990, tandis qu'une longue réflexion sur les Carnets de Satprem et ses démêlés avec ses collaborateurs, me pousse aussi à considérer que le scribe de Mère s'était installé dans une dualité insurmontable, en partie signifiée par une lune noire en maison 7 et une énergie scorpion archaïque, l'empêchant de «reconnaître» l'autre, sans parler de résidus karmiques. Mon but est de théoriser les difficultés extrêmes que l'on peut rencontrer dans le yoga, afin de permettre à chacun de méditer sur l'équilibre, et d'y voir un principe supérieur, sans lequel la perfection demeure un parti pris subjectif, une ambition fermée. Vu que moi-même je n'aurais pas pu développer le yoga supramental si je n'avais pas équilibré le moi avec le non-moi, mon propre moi étant extrêmement faible par rapport à ma réceptivité permanente et exceptionnelle, je fournis ces renseignements dans l'optique de rendre la vérité plus accessible, et non dans le but de reprocher quoi que ce soit à quiconque. J'ai d'ailleurs énormément peiné à me différencier, ne serait-ce que socialement, et je suis bien placé pour savoir que concilier les pouvoirs centrifuges et centripètes relève d'une alchimie permanente, que la vie sociale rend néanmoins nécessaire, tandis que tout sujet qui intègre la complémentarité moi-non-moi devient plus souple dans ses relations, moins exigeant dans ses attentes, et plus affirmé dans sa propre individuation. Bien que l'équilibre soit différent pour chacun, et qu'on puisse évoluer avec un des pôles plus prégnant que l'autre, il est judicieux de faire progresser proportionnellement le pôle le plus faible quand le plus fort l'emporte. Or, c'est ce que la nature oublie de faire, car l'énergie qui est attribuée à un pôle monopolise les ressources du sujet, et, sans une grande vigilance, le pôle supérieur prend une avance dangereuse sur le pôle le plus faible, qui avance forcément moins vite, jusqu'au déséquilibre probable. Nous pouvons considérer que l'opposition d'Uranus à sa position natale, vers quarante ans, constitue une opportunité privilégiée pour prendre soin du pôle le plus faible. L'individu se remet alors facilement en question et souhaite une vie plus conforme à ce qu'il pressent, c'est l'occasion pour les moi forts de le rester tout en s'ouvrant à l'altérité et au lâcher prise, tandis que les personnes qui auront avancé par l'identification, les affects, le ressenti, pourront enfin se plonger dans une introspection véritable, en court-circuitant les rôles et les postures, pour parvenir à leur moi plus profond.

Aujourd'hui, l'astrologie peut s'adapter à l'urgence, et survivre, en renonçant à détenir une vérité particulière, et en mettant ses outils au service de l'évolution, sans dogmatisme, grâce au repérage des patterns planétaires, soit les types d'entrelacements particuliers qui obligent le sujet à gérer la relation moi-non-moi selon certaines procédures inscrites dans son caractère, qui demeurent des contraintes tant qu'elles n'ont pas été explorées.

Bien que les configurations énergétiques diffèrent énormément, les obstacles primordiaux demeurent exactement les mêmes pour chacun, et se résument finalement à éviter qu'une ou plusieurs tendances psychologiques ne se mettent à travailler pour elles-mêmes, plutôt que pour le soleil central, le Moi involué, qui cherche à se dévoiler dans le Divin. Dès qu'un pouvoir planétaire recherche sa propre complétude, en boucle en quelque sorte, il déséquilibre le cosmos intérieur, et pervertit l'échange entre le sujet et l'altérité. Il déforme le potentiel spirituel, et fait dévier la voie. Si ce processus se produit naturellement, sous le fléau des circonstances, il peut être rectifié facilement. Si, au contraire, il prend le dessus, il acquiert de plus en plus de force, c'est-à-dire d'autonomie en termes de lois physiques, et c'est sans doute comme cela que les samskaras se produisent en partie. On peut aussi trouver l'inverse, une ou plusieurs fonctions planétaires qui ne risquent vraiment pas de se réclamer d'elles-mêmes, puisque leur manifestation est étouffée dans l'ensemble, ou sporadique, ce que l'on trouve parfois avec les signifiants en signes interceptés et sans aspects. Il arrive ainsi couramment que de purs saturniens ignorent la fonction lunaire, et réciproquement, créant deux types extrêmes d'individus, les émotifs purs si malléables qu'ils courtisent l'informe, et les fermes si purs qu'ils sont psychorigides, invulnérables, logés dans un présent impeccable sans turbulence, qui présente des analogies superficielles avec le Soi, et profondes avec l'indifférence.

Les personnes qui ont émergé au-dessus de saturne par l'itinéraire de la différenciation, uranien, doivent nécessairement devenir plus tolérantes et rester ouvertes à une obéissance suprême, si elles veulent donner une chance au Divin de se manifester. Celles qui y sont parvenus, comme moi-même, par un itinéraire d'absorption homogène du Réel, neptunien, doivent au contraire, en comprenant ce terme au sens d'une nécessité et non d'un devoir, s'ouvrir à une action concrète, qui les expose.

Les théories transcendantales sont toujours en avance sur leur usage, car elles sont aisées à produire pour un esprit libéré, et faciles à exprimer par le verbe, mais leur pratique est très aléatoire. Nous devons donc revenir au bon sens avant de prétendre pratiquer l'alchimie planétaire: le calcul d'un horoscope n'est rien d'autre qu'une carte topographique, et ce n'est pas parce qu'on possède une carte qu'on arpente le territoire qu'elle représente. Jongler avec des concepts astrologiques peut aussi être le moyen de se dédouaner de son caractère, en justifiant ses traits, inscrits dans les combinaisons astrales. Le premier travail du philosophe de l'astrologie n'est donc pas d'interpréter un thème, mais d'identifier en lui les présences planétaires, inconditionnelles, ou fonctions psychologiques de saisir quand l'une d'entre elles se manifeste avec une puissance qui la distingue de l'homogénéité globale dans laquelle baigne notre état «ordinaire» de conscience. Et de comprendre ce qui se passe à la moindre réaction d'ensemble.



6/L'accélération historique contemporaine

Il est vrai que le monde n'évolue pas en ligne droite; il y a des cycles, il y a des spirales; néanmoins le monde ne tourne pas toujours autour du même point, mais autour d'un centre qui constamment avance, et, par conséquent, il ne revient jamais exactement sur le chemin déjà parcouru, ne revient jamais réellement en arrière.
Sri Aurobindo.

L'urgence du changement était moindre il y a trente ans, et le mental était encore courtisé comme quelque chose de supérieur, d'autant que Dane Rudhyar évoquait une forme nouvelle d'intelligence possible, qui conserverait néanmoins de nombreuses qualités du mental, rigueur, intuition, et qui devait permettre d'agir d'une manière trans-personnelle, faisant de l'individu uranien un canal pour les forces spirituelles de l'avenir. C'était une idée intéressante, qui relativisait la réalisation individuelle du Soi, dont il était persuadé, comme Sri Aurobindo et moi-même, qu'elle demeurait un accomplissement trop rare dans le champ collectif, et entouré d'une mythologie obscure. Ce concept nouveau, à savoir que les êtres réalisés témoignent d'une manière simple et vivante pour transformer la société, sans s'enfermer dans le rôle de gourou, me paraît mériter une attention toute particulière, d'autant que l'astrologie entièrement maîtrisée permet de faire un travail analogue à celui du maître spirituel: mettre l'aspirant au pied du mur, et le guider vers lui-même. Les positions novatrices de Rudhyar peuvent s'expliquer par différentes combinaisons, sa propre vision des choses, réfractaire à la fuite vers le haut, sa formation inspirée par des prédécesseurs de qualité, mais, en tout état de cause, il survolait toute l'histoire spirituelle de l'humanité sans s'attacher aux particularismes, et citait lui-même Sri Aurobindo, avec le mérite de l'avoir découvert immédiatement.

Je lui rends donc hommage d'avoir créé un système homogène, fondé sur l'astrologie, qui permet de ne pas renoncer à cet art millénaire, tout en l'utilisant dans un autre but que celui qui lui était dévolu avant lui, avec quelques autres précurseurs inspirés à la même époque. Aujourd'hui même, à cause de la vulgarisation quantique, de l'apparition de nouvelles fréquences divines dans l'atmosphère, beaucoup de personnes se fient moins à leur mental, et cherchent plutôt à l'utiliser en accéléré pour «avancer», se transformer, s'épanouir, se réaliser, et vont donc accorder moins d'importance à la pratique astrologique proprement dite, tout en se prenant moins au jeu des représentations dynamiques qu'elle fournit, pour retenir celles qui peuvent être utilisées concrètement, et immédiatement. L'ego est devenu facilement friable, puisque l'atmosphère est maintenant saturée de présence spirituelle, et qu'il est plus facile de ressentir l'évolution terrestre. L'usage conceptuel devient donc plus souple, l'intuition se développe, et la qualité de l'air subtil donne envie à beaucoup de participer d'une manière plus profonde et personnelle aux forces vives de l'univers.



7/S'ancrer dans l'écoute permanente

le rigide et le mou,
contre le ferme et le malléable.

La quête de Dieu est aussi, subjectivement,
la quête de notre moi le plus haut,
le plus vrai, le plus plein, le plus vaste.
C'est la recherche d'une Réalité que masquent
les apparences de la vie,
parce qu'elles ne l'expriment que partiellement
ou qu'elles l'expriment à travers des voiles et des images,
par des oppositions et des contraires,
souvent même par ce qui semble des perversions et des contradictions du Réel.
Sri Aurobindo, le cycle humain

Le philosophe de l'astrologie ne cherche pas à proprement parler à se couler dans les cycles cosmiques pour s'y conformer. Il s'y conforme pour évoluer, ce qui n'a strictement rien à voir, et il travaille en permanence sur les manifestations archaïques des pouvoirs planétaires, que les calculs techniques permettent parfois d'amener intellectuellement à la conscience (mais dont on peut également se passer). Il s'agit d'intégrer le septenaire, avec, primo, les trois signifiants centrifuges (lune et sa viscosité événementielle, vénus et son parti pris d'idéalisation, jupiter et sa soif d'espace gratifiant), deuxio, les trois signifiants centripètes (soleil et image de soi subjective et trompeuse, mars et sa projection désirante grossière, saturne et sa préservation intégriste de l'identité intérieure) tandis que, tertio, Mercure verbalise toutes les montées des tendances, les amalgame et les combine, avant d'œuvrer pour sa propre objectivité, et de capter la vibration uranienne, qui lui donne le talent dans la différenciation créatrice.

Quand Mercure décide de travailler pour le soleil et Pluton, il parvient à investir toutes les fonctions planétaires intermédiaires, à évaluer les contenus psychologiques qui varient selon les matériaux circonstanciels, et les modulations apparaissent ainsi avec leurs risques propres. Les tendances émollientes et fusionnelles des pouvoirs centrifuges peuvent aboutir à de pernicieux résultats, la malléabilité propre à la reconnaissance du non-moi et de l'altérité finissant en processus mous, dans lesquels la plasticité triomphe, le sujet se perdant dans des identifications confuses aux objets qu'il embrasse. Identifications qui l'absorbent et le noient, ou le privent de son intégrité. La passion vénusienne, l'identification à un rôle social qui finit par caractériser l'ensemble de l'identité, la vénération superstitieuse d'un idéal ou d'une religion, ou encore d'une voie, sont autant de menaces qui pèsent sur le yin qui se sépare de toute proportion yang; inversement, le culte de sa propre action exonère de réceptivité le sujet, encourage l'acharnement à structurer des valeurs et à les mettre en œuvre dans une vision séparative et dualiste, qui soumet le non-moi à correspondre aux buts de la volonté du moi. Ou encore la recherche incessante d'une différenciation dans l'exploit et l'intrumentalisation intense de la durée donne au moi le sentiment que l'univers lui appartient par la performance et la conquête acérées, dans quelques domaines seulement, et ces tentatives représentent le yang aboutissant à la rigidité triomphaliste de l'ego souverain, qui s'est exonéré de la reconnaissance du yin.

APPROCHE TECHNIQUE 06 MERCURE, CLÉ DE VOÛTE ENTRE LE YIN ET LE YANG, ENTRE LES SIGNIFIANTS CENTRIFUGES ET CENTRIPÈTES

Dans les deux cas de figure, les deux moteurs du mouvement, le yin et le yang, se seront immobilisés dans leurs propres structures, soit dissolvantes soit astringentes, mais le résultat est le même, une habitude incoercible s'est emparée du moi, qui répète les mêmes catégories perceptives, empêche les transformations, passe à côté de l'immédiateté et de ses trésors de signes, pour conforter une position d'ensemble qui triche avec le réel, soit qu'on s'abandonne à vivre pour le non-moi, sans attiser le feu intérieur, soit qu'on s'abandonne à ne vivre que pour le moi, sans attiser le feu de la découverte du Divin, de l'ordre infini, de la connaissance absolue. Une fois que l'intellect a compris que la mollesse qui tend à l'informe dégrade le malléable, et le menace, et que le rigide qui tend à la cristallisation immuable dégrade le ferme, et le menace, nous comprenons que les pouvoirs centrifuges tendent à perdre le moi dans le non-moi en le dissolvant dedans, en estompant ce qui les sépare; comme il devient évident que les pouvoirs centripètes tendent à introjecter le non-moi dans le moi, jusqu'à ce que celui-ci perde toute réalité objective pour ne devenir que le reflet trompeur du moi lui-même.

C'est là la vision la plus élevée et la plus métaphysique que l'on peut obtenir de la tradition taoïste si nous la mettons au service du supramental, pour proposer une voie évolutive entièrement fondée sur le développement d'un intellect intuitif pur, qui pour autant continue d'utiliser les capacités de l'intelligence que nous nommons Raison, et qui reconstruit l'univers dans des ordres qui révèlent l'imbrication des causes et des effets, avec leurs cycles, leurs turbulences ou variations, et leurs composantes essentielles, si nous retenons le yang qui se détache, et le yin qui rassemble.

Chercher un itinéraire fiable, parce qu'il repose sur des lois universelles, afin d'éviter les obstacles et les impasses, d'abréger les détours, n'est pas le but de l'astrologue inspiré. Mais c'est cette voie qui est la plus courante, écrasante en Inde, où l'astrologue vous persuade que tout est joué d'avance, mais qu'il vaut mieux le savoir, pragmatique en Occident, où l'on cherche, grâce à une abondance de techniques toujours révisées, à éviter les accidents et favoriser les occasions. Dans les deux cas, le moi est autorisé à rester, grosso modo, ce qu'il est déjà, et il est simplement prévenu des champs qui lui sont favorables, où il pourra toujours puiser ce qui lui est gratifiant, et des champs difficiles où il s'épuisera en vain, s'il tient trop à déjouer le schéma négatif que révèle son horoscope, en s'y acharnant. En caricaturant, la plupart des astrologues, dans le monde entier, vous disent sur quoi vous pouvez miser (et quand, s'ils sont habiles) et vous dissuadent de parier sur certains secteurs. Ce sont toujours les mêmes domaines fondamentaux qui reviennent dans les questions et les réponses du soit-disant expert en flèche du temps, santé, amour, argent, changements importants, opportunités d'avancement ou de réussite, obstacles cachés. L'astrologue antique utilisait sa connaissance pour éviter d'offenser les dieux, choisissait des moments spéciaux conformes à certaines intentions à manifester, dates choisies pour des cérémonies qu'il accordait au pouvoir particulier d'une planète. Une étude de ces pratiques confirme, d'une part, que l'unité cosmique peut réellement se subdiviser en premiers principes dont chacun correspond à des ensembles de préoccupations humaines (cette nomenclature est aujourd'hui précise), et d'autre part, qu'il n'est pas besoin de subdiviser l'Un à l'infini pour obtenir des résultats concluants. Un jeu de sept forces (et leurs rapports) projeté sur douze secteurs formant un cercle, voilà qui est suffisant, si l'heure est précise et l'astrologue excellent, pour parvenir à choisir des moments privilégiés, en correspondance avec des mobiles ou des souhaits, et pour éviter les pires. En effet, en astrologie horaire, le zodiaque des maisons suffit pour les praticiens de génie, puisqu'il est extrêmement précis, représentant le présent qui change de place au cours d'une seule journée, depuis l'ascendant. L'on obtient forcément le cercle des signes par la même occasion, mais il ne servira pas à grand-chose, sinon à attendre que la lune, dans les jours qui suivent l'élaboration du premier calcul, en permette un nouveau où elle se trouvera non seulement bien aspectée en maison, mais dans un signe qui soutient son efficience. En élaborant plusieurs thèmes, on doit pouvoir découvrir au cours d'un cycle lunaire, soit près d'un mois, une date qui l'emporte sur toutes les autres, puisqu'en quatre semaines à peu près, la lune aura fait le tour de toutes les maisons et de tous les signes. Plus on sera exigeant sur l'opportunité, plus il faudra attendre pour trouver la date propice, et l'on peut donc chercher des critères favorables sur une période d'un an par exemple, voire davantage pour élire un événement exceptionnel. En extrapolant dans le domaine de l'existence, sans rien rechercher, chacun se trouve donc naturellement dans des moments privilégiés, plus rares, et d'autres néfastes, qui équilibrent les premiers. Mais comme le savent les taoïstes, tout est renversement, et il est donc vain de s'acharner à faire durer ce qui est exceptionnel en positif, et inutile de s'inquiéter dans des moments difficiles. Souvent, si l'ego ajoute une inflation solaire à des états «de grâce», il les abrège en les récupérant dans quelque forme de vanité qui s'accroche à un moi à moitié transformé, tandis que dramatiser des passages obscurs peut en prolonger la durée objective, prévue, en quelque sorte, par l'horloge cosmique.

Les couples planétaires peuvent être étudiés dans différents systèmes, et ils concordent dans leurs grandes lignes, et rappellent en cela les concepts fondamentaux de la philosophie, qui tourne toujours autour de la question de la complémentarité ou de l'opposition des contraires, débat qui se trouve au cœur de nombreuses voies astrologiques. Avec le soleil et la lune, le moi structuré est aux prises avec le moi qui perçoit le moment, tous les sens aux aguets, ce moi est malléable par la pression du non-moi (nous l'appelons pour notre part le je, soit le moi ponctuel prêt à conjuguer l'instant sous la menace ou le charme du moment particulier). Avec mars et vénus, l'immense attraction du désir pour l'amour se manifeste, mais cette union mène rarement à bien, car mars est instantané dans son jaillissement de désir, tandis que l'amour, ou l'harmonie vénusienne, exige de la permanence. Mars peut trancher et fournir des plaisirs égoïstes et volés à l'autre, tandis que Vénus veut réunir et éprouver des plaisirs en communion avec l'autre. Elle se trouve sur le trajet du soleil, depuis la terre, avec Mercure, tandis que Mars se trouve sur le trajet de Pluton et de la galaxie, et qu'il représente dans le désir l'aspect générique et instinctuel tandis que Vénus représente son aspect subjectif et individualisé, «conscient», en quelque sorte. Jupiter et saturne définissent l'équilibre à obtenir entre le mouvement global vers l'altérité et le non-moi, avec jupiter qui s'élance dehors, dans un projet qui joue pour ou contre la préservation de la structure interne. Selon les options d'ouverture, d'écoute et de compromis, ou bien de fermeture, d'autorité et d'intégrité, l'équilibre se trouve ou fait défaut. Soit la personne se laisse absorber par l'extérieur et son rôle si jupiter l'emporte au détriment de son intégrité, elle se confond alors avec la maîtrise rusée de son territoire, soit au contraire, elle s'abandonne à l'autarcie si saturne refuse les compromis nécessaires à l'équilibre, et elle tourne en rond, sans plus pouvoir tirer de l'immédiateté la nourriture divine du signe révélateur. (La cellule possède une membrane pour ne pas se dissoudre dans les cellules avoisinantes, ce qui autorise un parallèle avec la fermeté indispensable à l'intégrité du moi, ou encore avec le yang qui distingue et sépare, contre le yin qui rassemble, amalgame, confond, par sa plasticité absorbante. Pour Cyrille Javary (éditions Albin Michel), expert en la matière, l'excès revient plutôt au yang, soit, dans notre transcription, à la différenciation, tandis que le yin aurait de «petits» excès. Appliqué à notre philosophie, ce principe s'applique aux poussées facilement repérables de mars, saturne, uranus, soleil, qui peuvent vraiment fonder des egos forts, qui déchirent le non-moi par leur violence, leur actions aux conséquences imprévues, leur contrôle abusif. Les excès de yin sont plus sournois, et les identifications à l'autre, au milieu, aux valeurs spirituelles neptuniennes étant par définition confuses et sournoises, leur développement excessif est plus difficile à cerner, quelle que soit sa taille, et c'est plutôt le moi qui se laisse absorber dans un non-moi indifférencié sans trouver sa propre créativité et son propre enjeu existentiel, un moi caméléon, incapable d'une action réelle de différenciation authentique. L'excès se trouve alors dans le surplus de conformité au milieu ambiant, et passe inaperçu).

Aujourd'hui, on peut étendre le modèle complémentaire d'abandon vers l'intérieur ou l'extérieur, avec Uranus et Neptune, qui s'affrontent, ou en tout cas divergent, avant d'être réunis: Uranus pousse à l'expérience subjective radicale, soit un abandon à soi-même qui dénie la réalité objective, et qui s'effectue en opposition radicale aux valeurs établies du non-moi; tandis que Neptune représente à différents niveaux (de l'identification abusive à la soumission au Divin) l'identité entre le moi et le Tout, par un abandon à la totalité.

Le champ astrologique est large dans ses manifestations, et fort économe dans ses principes. Beaucoup d'amateurs n'en reviennent pas, souvent au bout de deux ou trois ans d'études, quand ils réalisent soudain en une fraction de seconde que «tout» tient dans un malheureux dessin. Complexe mais non surchargé, comme si leur propre vie pouvait être compressée dans cet enchevêtrement dynamique de forces (une douzaine), de signes correspondant aux quatre éléments, et de secteurs d'existence, dont le schéma représente un moment de l'univers qui nous concerne, un espace assez large puisque nous tenons compte aujourd'hui de Pluton, terre lointaine (qu'on vient de rétrograder astronomiquement, dans le vain espoir inconscient d'en limiter la puissance sur Terre, car elle nous met au pied du mur de l'impossible). La découverte de Pluton avait été annoncée par quelques signes avant-coureurs, le démantèlement d'une représentation scientifique de la réalité, dans laquelle Heisenberg et Einstein ont en quelque sorte joué le rôle de terroristes, tant ils ont fait exploser les paradigmes newtoniens, révélant une organisation du réel d'une telle complexité qu'il fallait renoncer à jamais de pouvoir l'enfermer dans une théorie définitive. Le moment unique a retrouvé ses lettres de noblesse, la durée s'est vue attribuer une qualité permanente de transformation dans les deux directions essentielles du contrat entre l'espace et le temps, qui dans le fond se rejoignent, l'ordre et le chaos. La vision enfantine de Laplace, qui croyait que le monde serait représenté parfaitement si l'on connaissait la liste de ses causes, tombait définitivement aux oubliettes, tel du fétichisme dédié à la Raison. Le début du vingtième siècle fut un des virages les plus importants de la mentalité humaine depuis des millénaires, en Europe et en Amérique, qui s'accompagna de l'émergence d'une nouvelle musique et d'une nouvelle peinture. Nous n'avons pas encore saisi l'impact de cette révolution mentale, qui, partant du profane, rejoint les diamants de la spiritualité: le monde sensible n'est qu'apparences, la réalité ou vérité est cachée derrière.



8/Appliquer l'intelligence quantique

C'est une erreur d'oublier les fondements astrologiques qui relèvent de la physique proprement dite, car nous retrouverons dans la symbolique psychologique les mêmes comportements qu'en physique. La première loi, celle de la réaction qui suit l'action, fait jaillir par sa simple expression une force de résistance à la transformation, un point qu'il faut toujours prendre en compte quand on soulève la question de l'évolution d'un individu, et la seconde loi, celle de la qualité émergente, soit la naissance d'une propriété qui surgit d'une combinaison de facteurs, et les transcende, alors que l'étude de sa causalité est difficile, car elle participe d'une combinaison. Le concept de qualité émergente n'est pas assez pris en compte dans les sciences humaines, puisqu'il défie la raison. Il faut prendre l'habitude de réfléchir, et apprécier les propriétés de l'intelligence pour ne pas être découragé par ce concept, qui échappe à la causalité linéaire, mais que nous retrouvons aujourd'hui dans de nombreux domaines, car la science progresse et passe au crible l'infime et l'immense. Elle recherche de nouveaux types de relations entre les objets, car il est pour le moment impossible de voir une théorie exhaustive contenir tous les faits. Les faits qui ne «rentrent» pas dans la dernière description mathématique ou physique du réel, existent bel et bien, c'est donc la théorie qui est en défaut, car si nous nous plaçons du point de vue d'un observateur qui se déplacerait sans cesse, tout existe en même temps, rien ne peut être rejeté hors de la réalité. Tous les faits qui semblent donc hétérogènes participent néanmoins de la réalité une et exhaustive, et ouvrent de nouvelles pistes. (Dans cette mesure, l'astrologue confirmé doit pouvoir trouver l'origine de n'importe quel ressenti exprimé par son client, et le placer dans le thème, en appliquant la loi de réaction, pour voir ce qui résiste au mouvement). L'intelligence cherche alors à intégrer, à emboîter l'information hétérogène, en découvrant une théorie plus inclusive. La question de la qualité émergente constitue donc à elle seule un paradigme: quand les causes n'apparaissent pas, c'est qu'elles sont placées dans un ordre sous-jacent qui échappe à l'investigation, et si le même événement se reproduit (celui qui semble ne pas avoir de cause), c'est bien qu'il découle de facteurs cachés et permanents, à chercher dans d'autres dimensions, des univers parallèles en quelque sorte, et non dans le tissu linéaire de la causalité avant après. Il est donc probable que la flèche du temps soit cousue sur une réalité immobile présente en tous points, capable d'agir parfois dans la durée elle-même en escamotant les procédés connus à ce jour.

C'est au vingtième siècle que les chercheurs se lassèrent subitement de la causalité, c'est-à-dire du pourquoi et du parce que toujours associés dans un ordre chronologique, et qu'ils cherchèrent d'autres pistes pour rendre compte des phénomènes, tandis que la finalité du cosmos se posait en des termes nouveaux, la théologie ne pouvant plus endiguer la passion de l'observation, et que la religion de la rigueur scientifique s'emparait des meilleurs esprits. Le dix-neuvième avait préparé le terrain, mais la raison croyait encore en elle-même d'une manière enfantine. Les explications «mécaniques» avaient certes élargi le champ de la recherche de la causalité dans certains secteurs, en remplaçant le rapport chronologique par un paradigme plus abstrait, dans lequel les propriétés manifestent des extensions, nécessaires et suffisantes, en utilisant parfois des combinaisons strictes. Mais ce progrès, qui évacue le facteur temps dans l'enchaînement des principes vers leurs matérialisation pour cerner les processus dans des ordres fixés d'avance, restait largement insuffisant pour aborder les secrets de l'infiniment petit, un ordre du réel soumis, plus que tout autre, à la vitesse pure.

Le développement des mathématiques dans le cadre des lois physiques fit apparaître la pensée cartésienne comme du pur réductionnisme, un système fermé sur lui-même, ne faisant confiance qu'à quelques propriétés élémentaires de l'esprit, qui ne suffisaient plus à aborder le domaine infinitésimal, où les probabilités remplacent les certitudes. La mécanique quantique a donc fait exploser, il y a un siècle déjà, les structures du raisonnement logique, pour y substituer des ensembles de probabilités homogènes, à la fois rivales du point de vue de leur occurrence (aléatoire ou incalculable, ce qui revient au même) et parallèles sur le plan potentiel. Au oui ou non si pratiques, si élémentaires, succédaient maintenant des séries de peut-être à condition que, des éventails de possibilités fulgurantes prêtes à s'emparer d'un moment particulier en l'informant, dans une ronde trop rapide pour l'œil et dans un espace déjà saturé d'informations et de fréquences. Là où la moindre variation fait basculer l'ensemble de l'observation dans un nouveau schéma, rendant toute mesure quasi inutile, étant donné que son exactitude ne peut pas assez durer pour être établie.

Ce serait désormais impossible de prétendre à la moindre interprétation définitive d'une expérience quantique: plusieurs apparaissaient simultanément, selon le point de vue particulier d'où l'on se plaçait, plusieurs convergeraient vers une réalité si complexe qu'il serait impossible d'y capturer du sens, sans mutiler l'expérience elle-même, ou l'orienter. Le monde des particules révélait donc un ordre inexpugnable, trop vaste pour être inventorié, trop rapide pour obéir à des alternatives binaires, trop complexe pour que les effets puissent être différenciés des causes. Il ne restait plus que des facteurs entremêlés et des informations innombrables, (et même, quitte à s'arracher les cheveux, des incompatibilités compatibles, symbolisées par le conte du chat de Shrödinger, ou caricaturées en littérature A= non A). À cela venaient s'ajouter deux difficultés supplémentaires qui terrassèrent l'intelligence «logique», la confrontant à des défis majeurs. D'une part, quatre forces semblaient régner, dont les relations étaient en partie cachées, d'autre part, le nombre des constituants de la matière semblait s'accroître de décennie en décennie, avec l'apparition incessante de nouveaux objets, quarks, neutrinos, gluons, qui faisaient voler en éclats le schéma simpliste de l'atome...Tandis que l'intérêt pour découvrir la réalité croissait et s'appuyait sur des opérations mathématiques déjà fort complexes, le Réel s'échappait d'autant plus de ses conquérants exaltés et géniaux, révélant une complexité, une trame, beaucoup trop grande d'un côté et trop fine de l'autre, pour entrer dans un cadre de représentations défini. En quelques années seulement, l'humanité se rendit compte qu'elle ne jouait pas encore dans la cour des grands, tandis que Pluton apparaissait dans le ciel, et que Sri Aurobindo rétablissait le supramental. Comme le dit John Gribbin: en nombre rond, l'interaction (force) forte est 1 000 fois plus intense que la force électrique et 100 000 fois plus intense que la faible (aussi la force électrique est cent fois plus intense que la faible). Mais l'interaction forte est 10 puissance 38 fois plus forte que la gravité, et il n'est donc pas surprenant que l'édification d'une description unifiée des forces électriques, faibles et fortes, soit beaucoup plus aisée que celle d'une théorie qui mettrait en rapport la gravité avec les trois autres.

La gravité demeure donc quelque chose d'essentiel, de mystérieux, d'infiniment répandu, un équilibre qui ne repose sur rien, sinon sur la résultante des forces et des masses célestes en mouvement, ce qui demeure aussi incompréhensible qu'un espace sidéral sans limites. Au lieu de s'imaginer pouvoir évoluer en comprenant intellectuellement le non-moi, l'étendue et le temps, le chercheur spirituel ressent en lui une identité accessible entre le Tout et son propre moi, à condition de déprogrammer dans le présent les structures d'appropriation qui correspondent aux pouvoirs planétaires. Il évite ainsi d'être piégé dans les dogmes éphémères des représentations totalitaires en tous genres, ésotériques ou scientifiques, qui ne font qu'enfermer le réel sur l'itinéraire d'une carte. C'est ainsi que l'évoluteur avance vers le mystère suprême, Satchitananda, qui est aussi, d'un certain point de vue, tout en bas dans la manifestation, la matière ensommeillée, presque rien en somme, des informations. Mais des informations qui deviennent lourdes car la gravitation distribue le poids, et, avec l'aide des autres forces, dissimule la porosité absolue de l'univers et de la matière en cachant les immenses quantités de vide du noyau à l'électron, de Pluton au soleil, des étoiles entre elles.

Déjà, Arthur Koestler sentait la nécessité de libérer l'esprit de ses modes de représentation linéaires, chronologiques ou mécaniques.

«Ainsi l'exil rigoureux auquel est condamné le mot «but» dans la science contemporaine. Il s'agit sans doute des séquelles de la réaction contre l'animisme de la physique d'Aristote, dans lesquelles les pierres accéléraient leurs chutes par hâte de rentrer chez elles... À partir de Galilée, les causes finales ou la finalité furent reléguées au royaume de la superstition et la causalité mécanique régna souverainement...

Cependant, si la causalité défaille, si les événements ne sont plus rigoureusement gouvernés par les poussées et les pressions du passé, ne peuvent-ils être influencés en quelque manière par la «traction» de l'avenir, ce qui est une façon de dire que le «but» pourrait être un facteur physique concret de l'évolution de l'univers? » ( Les somnambules 1960).

Les effets qui n'apparaissent plus dans le prolongement des causes possibles semblent donc tomber d'on ne sait où, ils procèdent d'une ramification exhaustive, comme si le futur remontait vers le présent, et exigent, pour être ramenés à ce qui les produit, une investigation interminable, une mesure confuse des facteurs qui les ont produits, avec le risque d'en oublier certains, d'en surestimer d'autres, et d'en faire intervenir à mauvais escient. Une qualité émergente n'apparaît donc pas comme le fruit du passé. Le meilleur exemple à donner est celui de l'illumination, le satori, qui caractérise les maîtres spirituels authentiques, et dont nul n'est jamais parvenu à refaire l'itinéraire, tant la rupture, le seuil, est abrupt. Les vraies prises de conscience, les insights, proviennent du même principe, certains flashs ne sont pas le fruit d'un raisonnement mieux abouti, mais ils participent de la vision directe, non-mentale, et il devient même inutile de trouver leur origine, sans doute holistique, ou intemporelle, puisqu'ils permettent soudain, non pas seulement de comprendre, mais d'intégrer des vérités qui feront maintenant partie de la vie elle-même, comme si elle était vue d'autre part.

Même s'il comprend que tout est fondé sur une illustration de la loi de la gravitation, que les cycles des planètes sont les véritables moteurs des événements, l'Histoire apparaît comme un mouvement évolutif à l'astrologue curieux. Il ne peut donc souscrire à la validité d'une répétition identique des événements, dus au retour des mêmes causes, ce que l'on peut encore trouver dans différents types d'astrologie, cartésiens, scientifiques, ou marqués au sceau de l'hindouïsme tamasique des brahmanes. Le point de départ est simple, et c'est parce qu'on l'oublie que l'astrologie se détourne souvent de ses propres capacités pour inventer des formules éphémères, ou créer des ornières opportunistes, pour se contenter de troquer la fatalité contre un destin écrit d'avance. La plus grande surprise de l'observateur qui fait table rase, c'est de remarquer que le ciel ne nous tombe pas sur la tête, car les planètes tournent à une vitesse suffisante pour éviter d'une part d'être entraînées vers l'extérieur par la force centrifuge, et d'autre part vers l'intérieur par la force centripète. Que la vitesse faiblisse, et le corps cosmique, en quelque sorte, tombe, que la vitesse s'accroisse, et, en quelque sorte, il se perd en s'éloignant à jamais.

Toute intelligence peut se pencher des heures sur cette question, sans voir apparaître la moindre solution. On étudie encore sérieusement la forme des volutes de fumée des cigarettes pour y piéger des modèles, on compare les rotations d'un café dans une tasse, tant les mouvements naturels, induits par la gravitation, sont déconcertants, riches, aléatoires, et parfois indéterminés, ce qui agace le rationaliste à l'affût d'une règle. Depuis l'expérience du seau de Newton (B Greene Robert Laffont), les éléments les plus ordinaires du réel exigent des réponses que l'on ne sait toujours pas fournir de manière exhaustive. Même si certains calculs permettent de comprendre que l'harmonie des orbites planétaires s'appuie sur des règles, saisir la nécessité de cette rotation universelle, comprendre pourquoi elle s'est imposée à la place d'autres modèles, demeure hors des facultés intellectuelles.

L'intelligence s'envole vers l'illimité, puis retombe. Tout est ordonné de cette manière-là en apparence, l'équilibre exhaustif et immédiat, régulé par la vitesse, avec le mystère de cette force gravitationnelle: finalement, chaque orbite dépend de toutes les autres, et ça continue de ne pas tomber, ça absorbe sans doute de petites fluctuations, ça fonctionne! Comment, pourquoi, voilà de quoi tomber sur les limites du mental, comme quand la question de Leibniz vient nous visiter, qui semble innocente comme un chien qui nous rapporte un objet pour qu'on lui lance à nouveau: «pourquoi quelque chose plutôt que rien?».



9/Le paradigme évolutif

«Le temps se meut sur sept roues; il a sept nefs.»
(Atharva Veda.)

Le philosophe, par définition, entraîne son intelligence à se rendre sur des lieux désertés, car il lui fait confiance, comme l'artisan croit en son savoir-faire. L'intelligence peut développer simultanément ses capacités d'analyse et d'intuition, sans jamais abandonner l'un des pôles. La raison seule rigidifie le réel, et veut le soumettre, et l'intuition seule survole la causalité, qui n'est pas un des moindres systèmes de création de la réalité, vu que la flèche du temps est bien là, et que, normalement, le présent va toujours vers l'avenir. Le mécanisme de la raison s'appuie donc sur cette évidence, mémorisée dans le cerveau depuis des millions d'années, les causes sont à rechercher en arrière, puisque ce qui arrive est la résultante du passé. On se rend compte de plus en plus que cette vision est exacte, mais insuffisante dans de nombreux domaines. Il se produit aussi des événements sans cause, des types de rencontres qui n'obéissent à aucune nécessité, aucun ordre à établir, aucune finalité à partager. Cette vision fugitive, c'est celle dont le mental décrète «que cela n'aurait pas dû se produire», c'est l'accident au sens fort, celui dont on s'imagine à tort ou à raison, que l'on n'est pas responsable. On reçoit un pot de fleurs sur la tête, on n'y est pour rien dans le déclenchement de sa chute, dont on pâtit avec une fracture du crâne, et peut-être des séquelles. Et expliquer que cela arrive parce qu'on se trouve sur la trajectoire ne justifie pas de s'y trouver, à aucun égard. Ce type d'événements appartient encore à une autre catégorie, où des causes purement physiques, et qui plus est, peu probables, engendrent des effets hors de leurs juridictions, comme une explosion de particules, nous rappelant nos craintes ancestrales de l'obscurité, où les dangers se présentent sans pouvoir être anticipés ou observés. (Les maisons 8 et 12 peuvent contenir ce type de probabilités davantage que les autres. La 8 parce qu'elle mélange les forces intérieures de l'hémisphère inférieur et celles de l'ouverture radicale de la 7; la 12, parce que la fin du cycle comprend les objets, d'une part les plus difficiles à intégrer (d'ordre purement cosmique) et, d'autre part, elle récolte les obstacles qui auront été escamotés dans les stations précédentes, avec parfois une connotation karmique).

Je rappelle que le moi et le non-moi sont toujours enchevêtrés en nous, et que sont peut-être codées dans notre cerveau des attentes d'un côté (une couche vénusienne) et des craintes de l'autre (une couche saturnienne), puisque notre réalité essentielle, c'est simplement d'être traversés par la flèche du temps dans un contexte d'étendue radicale, dont les règles sont indépendantes de nos prérogatives personnelles. Bien que nous puissions en édicter nous-mêmes dans les contextes subjectifs (avec la question de leur conformité universelle), il est clair que le temps est plus fort que nous, que la durée livre des obstacles à domicile, et que nous ne pouvons pas toujours refuser au livreur l'accès de la maison. Le présent et le soi-disant avenir peuvent nous échapper, révéler des formes qui nous dérangent, nous attaquent, nous détruisent. Notre existence consiste donc à mélanger ce que nous croyons être avec tout ce qui nous échappe, des cercles immédiats où nous avons encore beaucoup de pouvoir, le couple, la famille, le travail, jusqu'à ceux dans lesquels notre propre existence se dilue pour ne représenter presque plus rien semble-t-il, quand nous nous éloignons de notre contexte personnel à l'infini, tout en oubliant l'existence même de ces cercles immenses et lointains qui semblent de moins en moins nous concerner. Et cependant, elles nous appellent tout autant que nos petites sphères subjectives les dimensions illimitées, ne serait-ce que parce que notre corps a nécessité des centaines de millions d'années d'évolution pour équilibrer en nous les poussières d'étoiles, les sels minéraux, les oligo-éléments, présents dans notre organisme, alors qu'ils proviennent de l'origine de la terre, toute matérielle, encore dépourvue de l'essor de la conscience (ou presque). L'immédiat transporte les forces universelles du passé avec les mémoires de différents types, personnelles, génétiques, transgénérationnelles, karmiques, génériques (survivances dynamiques), et peut-être contient-il aussi, grâce au potentiel des qualités émergentes, les traces du futur, que nous pouvons symboliser par nos aspirations spirituelles radicales, et les comportements nouveaux qu'elles suscitent.

Si nous nous perdons dans la contemplation des étoiles, notre moi retourne parfois à la question de la mort, qui succède à l'émerveillement, car le spectacle du ciel imprime en nous un tel sentiment d'intemporalité que cela nous ramène à la brièveté de notre propre existence. L'astrologie fournit une réflexion tous azimuts, puisqu'elle nous permet de participer au grand cycle du cosmos, et nous nous préparons maintenant à comprendre qu'à l'intérieur de nous le ciel existe, sans doute sous forme fractale, avec des combinaisons subatomiques d'énergie qui correspondent au cliché du système solaire à notre naissance (Etienne Guillé). Nous sommes donc bien imprégnés de schémas fondamentaux qui cherchent à s'actualiser, nous sommes sensibles à des circuits plutôt qu'à d'autres qui manipulent les circonstances. Notre perception du monde est enchaînée dans un système de réseaux qui reproduit l'image du système solaire à notre naissance, à travers des opérations dynamiques innombrables.

Il est donc possible, avec la cosmophilosophie, de se considérer comme l'enfant de l'univers, et de dépasser ainsi la naissance physique, où nous sommes seulement tributaires de nos parents et de leurs gènes, de leur éducation et de leur milieu. Nous dépassons définitivement l'incrémentation des mémoires familiales symbolisées par l'amalgame mercure-lune du côté de la mère, et qui reproduit des schémas de sécurité affective, et nous transcendons aussi l'image-père de l'amalgame soleil-saturne, qui nous confinait dans des valeurs où le moi se réalise par une conformité à des structures extérieures permanentes, de l'ordre de la morale, de la religion et de la politique. Nous interdisons à Mercure de tisser la pensée du moment à partir des mêmes canevas d'identification au non-moi, qui passent par des attachements hérités, et des mêmes canevas d'identification à soi, qui passent par le simple tri de valeurs procurant croyances et stratégies morales. Un élargissement considérable du moi est à notre portée puisque nous pouvons apprendre à comprendre les effets cosmiques en nous, et que cela soit juste ou simplement approximatif, une nouvelle symbolique s'ouvre à nous.

Nous vivons maintenant les intentions de l'univers en nous-mêmes, et elles nous emmènent là où elles veulent, car elles sont plurielles. Nous reconnaissons le jeu de l'expérience, celui qui va aussi faire jouer les pièces de l'appareil psychologique, imposer des tensions entre mars et vénus qui cherchent le même objet, le désirable à long terme, mais avec une soif différente; entre jupiter et saturne qui cherchent l'homogénéité du même champ, là où le moi profitera au non-moi, et où le non-moi nourrira le moi de la manière la plus précise. Nous allons voir en nous s'opposer les habitudes lunaires, qui aiment conserver le gratifiant dans de molles répétitions, et les souhaits solaires, prêts à prendre des risques, à quitter le convenu et le conforme, à changer de quotidien de fond en comble.

APPROCHE TECHNIQUE 07 RECONNAÎTRE LA DÉPENDANCE AVANT DE S'EN LIBÉRER.

Nous ne cherchons pas à ressentir, mais le fait est là: nous traversons des émotions de toutes sortes, la vie a l'intention de nous soumettre à toutes formes de sensations qui provoquent des émotions, et cela revient particulièrement au calcul de la position lunaire. Certains adolescents ne cherchent pas à désirer, mais leur appareil génital achevé, ils ne pourront pas faire autrement que s'imaginer toucher un corps, en général du sexe opposé, jusqu'à oser une rencontre sexuelle, et la combinaison mars vénus rend compte en grande partie comment le sujet considère sa propre sexualité, ce qu'il en attend, et le quotient de réponse naturelle du non-moi à la fonction. Et ainsi de suite. C'est cela qui interpelle le philosophe, les contraintes de l'incarnation, tandis que l'astrologue n'a pas à entrer dans ces considérations, et cherche seulement à les escamoter, ou dans le meilleur des cas à les gérer. En astrologie supramentale, et déjà en astrologie humaniste, ces contraintes sont identifiées, le sujet admet d'en dépendre, et en transforme les caractères. Mais, sans une profonde ouverture à ce que représente Neptune (plier le genou devant l'autorité suprême), le travail intérieur n'attaque pas les risques d'enfermements conformes aux pouvoirs les plus forts. L'inflation solaire, une valorisation de soi-même qui s'effectue en circuit fermé à travers un meilleur aménagement du territoire, peut soustraire le moi aux prises de conscience les plus hautes, le perfectionnisme saturnien peut le priver de l'abandon et de la confiance absolue dans le moment pur, l'intensité de la force uranienne peut se concentrer dans une création supérieure et y plafonner. Nous devons donc toujours conserver à l'esprit le principe des vases communicants, et comprendre qu'une partie de l'énergie positive peut être récupérée par un pouvoir obscur, dans un système subconscient d'écluses. Cela explique que certains individus s'arrêtent au bord de l'illumination, car ils sont capables de progrès merveilleux dans certains secteurs, autrement dit dans certaines parties de l'horoscope de naissance, tandis que d'autres restent inchangées, et sabotent en profondeur le travail par leur force de résistance, tandis que le moi s'imagine supérieur, puisqu'il ne prend pas conscience de ses angles morts.

En amont de tous les calculs opportunistes, ou de tous les modèles transcendantaux d'utilisation de l'horoscope, la vraie question est celle-ci: quelle position prenons-nous par rapport à toutes les contraintes que nous subissons, la sensation, le désir, le sentiment, la pensée, peut-on y déceler un apprentissage de la conscience universelle qui emprunterait notre corps et notre identité (tout en les soutenant), ou voulons-nous vraiment nous approprier ces intentions qui ne sont pas les nôtres, mais qui dépendent de puissances cosmiques autrement plus fondées que notre existence éphémère et sa manière empirique de «tirer son épingle du jeu»? Si nous nous les approprions, elles se mélangent inexorablement entre elles, et l'identité solaire demeure inaccessible.

C'est déjà tout un travail de libérer le vrai saturne en face d'un soleil qui aura apprivoisé la lune (voir guérir par l'éveil), ou d'accepter (souvent contraint et forcé) les manifestations d'Uranus, Neptune et Pluton à travers des événements si difficiles (ou souverains vis-à-vis du moi), que le sujet finira par admettre, en état de crise, qu'il doit chercher une nouvelle piste de conformité avec la réalité exhaustive, maintenant qu'il a perdu sa route. Ruer dangereusement dans les brancards (Uranus), se diluer dans la drogue ou l'alcool (Neptune), ou tout expérimenter avec excès dans la sexualité et l'appropriation matérielle, voire la soumission de l'autre (Pluton), constituent des options contemporaines à double tranchant. Elles poussent irrémédiablement le sujet à vivre avec une intensité supérieure à la normale le sentiment de sa propre identité, tandis que les premiers moyens pour le faire s'avèrent se retourner contre lui, à brève ou longue échéance. Cette question pose à nouveau le problème philosophique par excellence de ce qui habite la nature humaine et se manifeste contre sa volonté, soit toutes les compulsions, tous les événements répertoriés depuis la nuit des temps, à propos desquels les personnes jettent cette formule autour d'elles, dans l'aveu intime ou le procès devant la tribu ou la société: c'était plus fort que moi.

MORPHOLOGIE DU SYSTEME COSMOPHILOSOPHIQUE.

Dans la clarté de Dieu, rien de laid, rien d'étrange.
La grenouille est aussi parfaite que l'archange.
(Angelus Silesius)

Cette étude, jusqu'à présent, rappelle que l'humanité a beau essayer de s'imaginer être son propre maître, elle n'est ni plus ni moins qu'un objet de l'univers, un objet comme un autre, entièrement dépendant de sa morphologie, de sa localisation, de son époque, de sa structure comme un minéral, de ses besoins vitaux comme une plante, de sa sexualité comme l'animal. Que cet objet puisse dire je avec cette emphase grotesque (qui poignarde le mutant supramental des années avant qu'il s'habitue à la médiocrité du discours ordinaire), et que cet objet éphémère puisse en déduire que sa propre existence est aussi importante que tout le reste, cela fait partie de la création d'ensemble, du jeu cosmique. Chaque homme sait suffisamment qu'il est à lui seul l'univers entier pour tout sacrifier à sa propre survie (qu'on me dispense de développer cette idée assez criante dans les dessous de la guerre), sauf les héros, bien entendu, qui sont prêts à s'effacer pour que le monde survive. L'être humain veut aujourd'hui se dresser seul face à l'univers, et revendique de comprendre immédiatement quelle est sa place, d'où il débarque, ce qu'il est en droit d'attendre de l'existence, ce qu'il doit faire pour la manipuler à son avantage. Le besoin du gratifiant fonde le sentiment biologique, avec la toute puissance du désir sec et fermé, mars, et du désir ouvert et humide, venus, qui ensemble forment le mode absolu de préservation, puisqu'il sert l'espèce en passant par l'individu, qui le subit autant qu'il l'exploite dans la sexualité. Quant à la lune, d'une certaine manière, elle arrose la polarité mars-vénus, tandis que saturne l'assèche.

Mais aucune des réponses essentielles n'est rapidement obtenue entre le moi microcosme et le macrocosme, et l'être humain est donc emporté par la flèche du temps, à toute allure, alors que l'ensemble de l'étendue inanimée vit à un rythme cent fois ou mille fois plus lent. Au moment où l'être humain pourrait se féliciter d'être une fractale de l'univers, et rechercher en lui-même la forme du Tout (vers un soleil transpersonnel), il se rend compte qu'il exagère: il ne vit pas le temps à la même échelle. Qu'est-ce que la vitesse vient faire dans ce modèle, nul n'en sait rien, mais le modèle fractal n'y résiste pas, ou alors il faudrait transformer la durée en autre chose, et que nos quatre-vingts ans de vie correspondent à un présent sans commencement ni fin, ce qui est bien, il faut le préciser, une des définitions du Brahman. Des millions d'années sont nécessaires pour parvenir à un quelconque résultat digne de ce nom dans la manifestation, une créature très intelligente par rapport à tout ce qui l'a précédé, mais, en contrepartie, semble-t-il, de cette identité nouvelle, être l'objet de l'univers capable de le refléter, sa vie est trop brève.

Trop brève pour accomplir son programme, devenir le Tout. Il faudrait pouvoir disposer de plus de temps pour apprendre à refléter correctement le cosmos, le Tao, l'Infini, puis le Divin, mais vite, beaucoup trop vite, le corps humain décroît, et les progrès de conscience s'arrêtent, ou plafonnent. L'individu est rappelé de l'autre côté, en tant qu'âme, s'il survit à la mort physique. Grosso modo, sans élégance philosophique: nous avons trop reçu de l'univers pour actualiser ce qui nous a été donné. (Voir Pratique intégrale de Tao)

Avec le supramental, la possibilité s'accroît néanmoins. Nous avons hérité des facultés de la matière qui devient consciente d'elle-même, ressentir, comme le fait déjà la fleur par rapport à d'autres espèces qui l'ont précédée, mais nous bénéficions aussi, par un processus que nul n'a jamais vraiment explicité, de la conscience réflexive, qui permet de ressentir abstraitement, par la pensée donc, non seulement notre propre moi, mais ce qui nous entoure, de cercle en cercle, tout ce sur quoi nous pouvons émettre opinions, jugements, réserves, identifications, rejets.

Ce pouvoir nous dépasse dans sa fulgurante rapidité, nous pensons peut-être aussi vite ou même plus vite que la lumière, mais justement, cette rapidité explose, part dans tous les sens, ramène des milliers d'attitudes possibles comme autant d'orientations pour l'avenir, décrète des multitudes de choix rivaux pour des situations beaucoup plus stables, dans lesquelles nous sommes installés. En trois secondes, monsieur tout-le-monde peut déjà avoir quitté son épouse, y renoncer, l'avoir fait pour y revenir après avoir soufflé un peu grâce à une petite aventure sans lendemain, la conserver et s'autoriser une vie double pour la supporter, ou tout vouloir recommencer, dans la même innocence qu'au début, en effaçant l'ardoise; autant de jeux que les fonctions planétaires mettent en scène en un petit moment, quelques secondes, si un déficit profond se manifeste. Dans cet exemple, chaque planète goûte la saveur de sa propre solution, avant de laisser place à une autre option, et si le sujet laisse s'installer cette farandole d'hypothèses, il peut réellement devenir incapable de prendre la moindre décision: les fonctions psychologiques l'encerclent, exercent un rituel de malédiction en dansant en rond, chaque solution apparaissant à son tour aussi pertinente que toutes les autres. Cet exemple est suffisant pour modéliser l'activité psychologique, et admettre en profondeur que, quand le tissu homogène du moi et du non-moi est déchiré, les fonctions planétaires cessent de synthétiser le présent, et se présentent en ordre dispersé, le temps de trouver une résultante homogène. Le choix n'est pas à faire entre deux possibilités, pour les événements complexes, mais bien entre plusieurs, qui mélangent plusieurs curseurs. Si l'initiative et la passivité forment un couple, l'autorité et la soumission déroulent le tapis rouge pour l'autonomie, l'indépendance, une solution transversale, qui les renvoie dos à dos.

En termes de morphologie, n'oublions pas que nous seulement nous pouvons avancer ou reculer, c'est-à-dire obéir à un système binaire conforme au symbole du temps, mais nous pouvons également tourner à gauche ou à droite, ou rester sur place, sans compter les ruses de passer par-dessus ou par-dessous. Si tant d'êtres humains souffrent, c'est qu'ils manquent d'unité, et que les pouvoirs planétaires rivalisent entre eux pour les emporter vers une solution qui en exclut d'autres, alors qu'ils s'acharnent à vouloir conserver les avantages de plusieurs stratégies incompatibles. La pensée est assez rapide pour virtualiser en quelques secondes des scénarios de situations complexes, qui s'étendraient longuement dans le vécu. Penser, c'est s'affranchir de l'irréversibilité de la flèche du temps, reconstruire du passé ou échafauder de l'avenir. Dans le présent pur, penser est inutile, car le moi ne cherche pas à se prolonger.

Alors que notre constitution organique s'engouffre toujours dans le même sens, que le présent défile à toute vitesse, que chaque moment devient du passé sans que nous ne puissions y opposer aucun pouvoir, notre pensée, elle, s'amuse à tricher avec la flèche. Elle se remémore le passé et peut s'ingénier à le remettre au premier plan, elle imagine le futur sous différents angles, et, si nous n'y prenons garde, elle peut même boucher la perception réelle du moment présent en le transformant en écran pour des séquences archaïques ou futures. Ramener Mercure à l'observation pure, c'est ce qui lui permettra d'appréhender les pouvoirs planétaires à l'œuvre dans le moment.

Les discours intérieurs chaotiques, qui développent une virtualisation involontaire de la durée, obligent certaines personnes à consulter un psychologue, un psychanalyste, ou à se soumettre à n'importe quel charlatan, divinatoire ou spirituel. Quand le mental révèle une sorte d'autonomie dynamique qui se déploie «toute seule» en inventant toutes sortes de chemins qui deviennent obsédants, sans même qu'on le consulte, le moi peut se sentir parasité, soumis à des forces extérieures, envoûté par un avenir qui réclame son dû, tandis que le présent perd sa saveur. Ce même procédé de projections involontaires, mais impérieuses, peut aussi bien fonctionner en sens inverse et contraindre le cerveau à se réfugier dans le passé, avec nostalgie, régressions des valeurs, ou sentiment de culpabilité. La pensée cherche à décréter ce qui doit faire partie du réel, y être conservé, en être éliminé, mais parfois, elle patine. Elle peine à maintenir la cohérence du système entier si d'autres fonctions planétaires sont blessées, atrophiées, ou excessives. Les termes de rupture, changement, bifurcation, transformation, indiquent déjà à eux seuls que l'hétérogène doit être identifié, que le moi doit examiner le non-moi, le goûter en quelque sorte sous différents aspects et potentiels, pour l'accorder aux besoins intérieurs. La pensée donc, confond le vrai présent qui se déroule, celui qu'on peut chronométrer montre en main et que les sens perçoivent, avec le film qu'elle lui impose, la rumination mentale, dès que l'équilibre est rompu entre les pouvoirs planétaires centrifuges (lune, venus, jupiter, neptune) et les pouvoirs planétaires centripètes (soleil, mars, saturne, uranus).

Pour la pensée, le présent c'est le discours intérieur, et tant qu'il est léger et naturel, il reste connecté à la perception du moment objectif et confondu avec lui. L'action psychologique est homogène, la sensation et le discours s'épaulent, s'apprécient et communiquent. S'il arrive que la pensée prenne toute la place, elle supprime le sentiment du présent perçu par les sens, et elle le remplace par une préoccupation intense qui fait «perdre de vue» l'environnement et la situation «objective». C'est alors que les planètes se plaignent, car la lune, venus, mars, préfèrent de loin la sensation du présent pur à cet écran de fumée de la pensée qui coagule, et fait oublier le contexte. Chacun a déjà vécu des circonstances difficiles, et remarqué la plainte des signifiants psychologiques, la lune nous fait pleurer, mars nous mettre en colère, saturne nous fait nous fermer, vénus fait comme si elle n'existait pas et s'éloigne et parfois un mauvais soleil archaïque joue à se persuader que ce n'est rien, alors que le sujet est réellement défait, mais il assume son rôle de comédien qui sauve la face le plus longtemps possible.

Le jeu de la résultante instantanée se fait automatiquement, et les enfants, par exemple, ont déjà de la peine à choisir entre les devoirs et le jeu, la soumission et l'insolence. Les intentions cosmiques jouent à nous proposer des moments différents, qui deviennent concurrentiels car le présent ne peut tout contenir à la fois, et, comme le disait Lacan, lui-même persécuté par des dilemmes affectifs, le choix est castrateur. Nous ne perdons pas de vue l'identité de notre être dans la traversée de la durée, ce qui provoquerait des dommages, perte des valeurs morales, dévalorisation, pathologies mentales, somatisations, mais si cela se produit, c'est toujours pour ouvrir la possibilité d'un franchissement de seuil, c'est donc initiatique. Se perdre permet de s'orienter correctement, chaque fois par rapport à des cercles plus larges, étant entendu que l'être qui aspire au Divin ne peut pas réellement s'exclure du Réel, et s'il s'aventure trop loin dans sa quête, la souffrance, normalement l'y ramène. Nous ne pouvons pas choisir vénus et éliminer tout le reste, ou faire comme si mars était seul, ou demander au soleil de subjuguer saturne par magie, car il ne se laisserait pas faire. On ne peut pas congédier la lune sans risquer un jour un retour de manivelle destructeur, et il semble bien que notre liberté consiste seulement à (vouloir) comprendre les forces qui nous habitent, et non de nous en affranchir par un stratagème superficiel qui leur permettrait de s'involuer davantage, de se tapir dans le subconscient, en nous laissant croire à une maîtrise du réel. Si nous rétrécissons (la conscience de) nos planètes intérieures, elles seront d'autant plus rappelées à l'ordre dans l'événementiel, par les phases des cycles.

Ce sont les êtres les plus rigides d'un côté, et les plus mous de l'autre, qui supportent le moins bien les circonstances vraiment difficiles, les rigides car ils perdent tout contrôle, — le non-moi leur explose à la figure, leur autorité se brise; et les mous parce que leur système de fuite et de dispersion, de plasticité inconditionnelle, parvient à ses limites jusqu'à ce que le moi devienne informe, et qu'ils se liquéfient.

Le temps de tomber sur un obstacle majeur qui nous rappelle à l'ordre, nos déséquilibres peuvent être mis à jour par le cosmos, dé-couverts par le Réel, ce qui nous ramène à nouveau à la souveraineté du non-moi sur la fragile incarnation que nous représentons, et la possibilité régulière de retrouver l'ordre cosmique, quel que soit notre karma, à travers les avertissements de la Manifestation produits par les crises face aux énergies planétaires.

Le jeu intérieur des fonctions psychologiques (les luminaires et les planètes du thème) influe sur leur manifestation extérieure (transits) et réciproquement. Dans notre philosophie de l'astrologie, l'interaction d'un système sur l'autre demeure un champ d'expérimentation très large et sans codification. Certaines personnes parviennent presque exclusivement à évoluer par la connaissance des planètes intérieures, et surfent sur les circonstances, d'autres ont besoin d'un malaxage permanent de leur moi par l'adversité constante mise en place par les transits dans l'événementiel pour se désidentifier du territoire contingent, et partir à la recherche des ressources qui les conduiront aux acteurs intérieurs, susceptibles d'améliorer l'environnement.

Nous vivons perpétuellement sous la contrainte, celle de synthétiser de manière homogène les intentions cosmiques, et même quelquefois divines, qui pataugent dans notre cerveau. Elles s'ordonnent selon certains rythmes, ce qui donne à l'astrologie sa légitimité, puisque, si nous ne savons pas nous-mêmes trouver l'ordre de conformité cosmique, cet ordre se manifeste quand même par la crise, qui pousse en avant une puissance planétaire à un moment donné, pour que nous puissions, sous le joug de l'adversité, retrouver le cap (perdu) de la concordance moi/non-moi. Le coup de pouce de l'adversité est une loi de l'évolution biologique, et ce thème a été traité en partie de façon rigoureuse par Alexander Ruperti dans le cadre de la prévision psycho astrologique, dans son ouvrage les cycles du devenir (Le rocher). Mais si nous laissons de côté les puissances planétaires, nous retombons cependant sur nos pieds. Nous approfondissons la théorie hindoue des guna, développée dans des cercles ésotériques, mais déjà présente dans la Bhagavad-Gîtâ, dont la profondeur échappe malheureusement à la culture occidentale, et dans le Samkhya, avant que Sri Aurobindo s'en inspire, lui qui a puisé dans toutes les écoles les prémisses de la manifestation supramentale.

Mars est rajasique par essence, vénus concilie rajas et sattva, saturne mélange tamas et sattva, ce qui en fait un personnage particulièrement retors, à double visage. En développant, nous constaterions rapidement que ce mélange sournois donne un alliage parfaitement trompeur, qui, à lui seul, explique la plupart des échecs de l'humanité, elle qui ne parvient pas à prélever l'inertie du pouvoir constructif, qui s'endort dans ses structures dès qu'elles sont mises en forme. C'est une puissance profonde, qu'on ne peut pas intégrer aussi facilement que les autres, et qui se dresse sur le chemin du soleil spirituel, pour en défendre l'accès. Elle représente des contraintes plus fortes que la volonté de l'individu qui s'y oppose, et dans cette mesure, Saturne est le garant de lois universelles qui limitent la toute-puissance d'expansion de la fantaisie humaine, dans tous les domaines. La créativité mentale ne peut pas tordre la Manifestation n'importe comment. Des règles inconnues lui garantissent un statut particulier, une arborescence de lois physiques et morales contiennentt l'existence dans des limites précises. La lumière se mérite plutôt qu'elle ne s'obtient, et saturne en montre le prix, puisqu'il la dérobe quand elle provient par trop des circonstances, et pas assez de l'intérieur. Il met un terme au bénéfice jupitérien, aux élans vénusiens qui se nourrissent dans l'altérité, si ces derniers sont vécus avec légèreté. Il abrège la chance ou le favorable, si le moi n'en profite pas, dans une reconnaissance spontanée, pour approfondir sa propre identité. Il a mauvaise réputation, puisqu'il permet de remettre en cause toutes les identifications, qui sont généralement gratifiantes, et choisies par le sujet. Symboliquement, il est placé en face de la lune dans le zodiaque, comme son éventuel pôle complémentaire, mais celle-ci ne se soumet pas à lui, qu'elle ignore, à moins que d'autres instances, comme le soleil ou mercure décident de la purifier. En simplifiant, saturne devra investir chaque fonction planétaire, la rectifier en la débarrassant du superflu, et la mettre au service du soleil, qui pourra alors prendre en charge l'ensemble. Saturne et sa fonction critique, qui élague correctement au service de l'intention suprême, demeurent toujours disponibles entre le soleil, le sentiment d'identité qui aspire au Divin, et le reste de la nomenclature fonctionnelle. Néanmoins, s'il exécute un tri et vérifie, sans la lumière détachée d'un mercure rompu au discernement, il peut tendre à conserver trop de choses, ou manquer de vue le réajustement holistique.

En fait, l'alchimie intérieure est plus complexe que ce que l'on imagine, et c'est à regret que je présente un tableau aussi difficile de l'accès à la spiritualité absolue, mais c'est le moment de favoriser l'élan solaire, dans une période particulièrement critique, et d'avouer la vérité... Si l'on oublie que toute modification, aussi bien de l'image de soi, que de l'approche des choses, ou bien d'un changement de paradigme sur l'existence, interfère avec tout le reste, les progrès conscients peuvent se limiter aux seuls secteurs investis par l'effort, sans créer de véritable disposition d'ensemble spirituelle. Le cas est fréquent chez de nombreux ésotéristes qui ne travaillent que sur une vision transcendantale du réel, sans l'appliquer à leur animus et à leur anima, sans deviner que troquer la carte insipide de leur culture contre l'itinéraire de la politique divine, implique une consécration à tous les niveaux. Ou bien encore, de nombreuses personnes sont capables d'ajuster leur comportement à une intuition d'un Bien fondamental, à découvrir alors qu'il est encore caché, mais n'étendent pas leur transformation à un accueil inconditionnel de la vastitude, qui seul donne le recul nécessaire sur les événements et la trace de l'ego. D'autres enfin ne parviennent pas à changer d'époque, et s'imaginent encore que le mouvement du cœur est nécessaire et suffisant pour percer tous les voiles, «atteindre» des plans de conscience supérieurs, ce qui paraît peu probable sans une descente en soi-même, qui n'a rien d'idéal, ni dans sa conception ni dans sa pratique, puisqu'elle confronte au lieu de projeter en avant.

APPROCHE TECHNIQUE 08 LIBERER SATURNE AVEC SOLEIL, MERCURE ET VÉNUS.

Aussi est-il besoin de décréter (sans autre parti pris que faciliter le travail intérieur, et surtout pas pour établir une règle difficile à suivre à moins qu'on la découvre soi-même), qu'il faut réconcilier l'intelligence mercurienne, l'imagination vénusienne et l'esprit saturnien, dont les logiques sont différentes. Sur le théâtre cosmique, c'est au soleil, à Vénus et à Mercure que revient le droit de faire changer les prérogatives de Saturne. Quand nous plongeons dans une réflexion profonde, qui se moque du gratifiant, et qui passe au crible le vécu dans le projet d'en éliminer des superfluités, l'énergie saturnienne, lente, intéressée au long terme, reçoit les propositions de Mercure, l'étincelant éclaireur, et si la foi solaire est présente, si l'amour des valeurs consent, saturne, encerclé par la lumière de l'identité pure, par celle du discernement absolu et par celle de l'Idéal, peut élaguer d'un côté, innover de l'autre, prendre confiance dans les changements, considérés non comme de simples modifications opportunes, mais tels des tremplins évolutifs. Grosso modo, nous comprenons que l'intelligence ne peut être réduite à un flux continu et homogène, elle se scande en différentes vitesses, elle travaille avec plusieurs différentiels, comme une simple automobile.

En fait, l'esprit est si fluide qu'il «change de vitesse» automatiquement, et, à moins d'une grande finesse intérieure, on ne se rend pas compte qu'on passe d'une pensée à dominante martienne ou lunaire, à une pensée à dominante saturnienne. C'est donc un apprentissage de saisir les modes de fonctionnement de l'esprit, mais tout le monde a constaté qu'on peut couper l'élan du désir par un froid jugement, ou mettre un terme à une excitation mentale, en se raisonnant ou en lâchant prise. Les êtres ordinaires, pour éviter de perdre quelque chose qui leur est cher, conjuguent la fréquence martienne et saturnienne, ce qui est suffisant pour produire menaces et intimidations. Les pouvoirs planétaires se combinent, mais la plupart du temps, leur algorithme se produit tout seul. Si c'est bénéfique, nous croyons conjuguer nous-mêmes, si c'est néfaste, une multitude de réactions apparaît, et, dans la majeure partie des cas, ces réactions ne sont rien d'autre que des amalgames qui se produisent entre les fonctions psychologiques. Pour acquérir quelque chose de cher, les êtres ordinaires n'hésitent pas à utiliser le mensonge, et, dans la séduction, Saturne tire les ficelles de Vénus qu'il manipule, avec la complicité de Mercure. Toute l'Histoire se révèle à travers la seule question de la difficulté suprême d'unir le septenaire psychologique, puisque chaque fonction se lance en avant sans réellement tenir compte des autres, tandis que saturne, en arrière, constate les dégâts et «ramasse les morceaux», et puis tire des leçons des erreurs, si son esprit est sain.

Les valeurs des pouvoirs psychologiques sont différentes, parfois contraires. Mars ne respecte rien, sauf l'immédiateté triomphale, alors que saturne se moque de la flèche du temps, et peut s'amuser à voir le présent comme une illusion, à partir d'un plan abstrait et intemporel. Aussi l'intelligence est-elle obligée de calibrer des critères différents pour fournir une orientation au moi qui perçoit, et elle se perd entre les critères, puisqu'ils sont multiples, et tous aussi légitimes. L'idéal serait donc que le profit immédiat coïncide absolument avec le bénéfice à long terme, et c'est peut-être ce rêve que poursuit naïvement le moi néophyte, en s'imaginant que la durée, et donc l'avenir, va venir s'emboîter sur les structures permanentes qu'il met en place, le mariage, la famille, la croyance religieuse, le code moral, la carrière. Mais l'immédiateté est là au contraire pour démentir tout ce que le mental naïf établit pour préserver la structure fossilisée de l'ego, car c'est l'immédiateté, et elle seule, qui fait jouer dans la réalité la dialectique des pouvoirs psychologiques, et ce, d'une autre manière que celle que le caractère veut figer. Un coefficient purement aléatoire d'événements incongrus dément sans cesse les prérogatives d'appropriation du temps et de l'espace par le moi. La souffrance vient abolir la pérennité des structures que nous voulons établir à long terme, dans un monde où chaque seconde excite d'une manière nouvelle les possibilités de prépondérance des pouvoirs planétaires, et de leurs combinaisons multiples.

Gautama a bien étudié la question, et a établi que c'était impossible de concilier le court terme et le long terme, sans la méditation, qui demeure, qu'on veuille ou non la présenter en partie comme cela, comme une mise en cause de l'objet, quel qu'il soit. La connaissance ne surgit pas d'une adhérence soumise de l'intelligence à l'événementiel, elle doit au contraire discriminer sans cesse sur l'utilité de l'objet qui se présente, sur les mouvements obscurs que cachent les convoitises institutionnelles, la prospérité, la notoriété, le rite religieux, la fondation d'une famille. Les cultures normalisent les besoins génériques et les soutiennent, les encouragent, les parent de qualités extraordinaires, soit, mais l'amant de Dieu ne trouve aucune vérité de principe dans le respect de ces convoitises autorisées. Tout au plus, découvre-t-on une législation qui nourrit les tendances génériques obscures en leur fixant des limites, le besoin de posséder se légitime lui-même par l'honnêteté, celui d'être apprécié par le talent, celui de partager des «sentiments» se glorifie dans le mariage, mais l'immédiateté attaque comme un acide ces structures permanentes, et seuls des efforts soutenus ou des compromis décevants les maintiennent en place. Ce système fonctionne depuis longtemps, puisque, finalement, par une sorte d'intuition globale, les pouvoirs planétaires, qui restent parallèles dans leur recherche de l'objet, peuvent se rencontrer et converger vers la satisfaction globale du sujet. Si la connaissance démystifie l'événementiel, elle ne provient pas pour autant d'un déni absolu du cadre contingent, lui qui soumet aux tentations et aux convoitises, puisque le circonstanciel est traversé par le temps et qu'il nous plante dans notre condition d'être biologique. La connaissance doit tenir compte du flux du champ, car le samsara, pour aussi trompeur qu'il demeure, est cette réalité que la voie supramentale va transformer. Pour elle, rien n'est en-dehors de la réalité, et le soi n'a pas plus de valeur que la vie.

La personne sociale peut donc sans s'en rendre compte cultiver un jupiter qui fait bande à part, qui aime donner au temple quand les affaires marchent bien, et qui persuade le moi qu'il est un dévot: un clone de soi-même conforme au règlement culturel, et qui ajoute son grain de sel quand le calendrier l'appelle, et alors seulement. Ce jupiter de circonstances célèbre à sa petite échelle la réussite du sujet, et rend grâce, et s'empare à son insu de la totalité du moi, qu'il abandonnera la cérémonie terminée. Cela reste éminemment mesquin, rien d'autre qu'une manière de se défausser de vivre «au ras des pâquerettes», mais comme le moi n'est pas uni, comme l'individu n'est pas créé, la somme des petits personnages intérieurs conformes aux pouvoirs planétaires, donne le change, aussi bien au moi lui-même, qui rassemble cahin-caha la diffraction de ses agents, qu'au milieu qu'il contrôle. Bouddha avait vu cela d'une autre manière, et doutait donc profondément de l'utilité de la religion, si elle servait seulement à rassurer un moi générique sur l'échéance de sa propre existence. Il a su définir les moyens par lesquels creuser derrière ces personnages quantiques, similaires aux planètes et aux luminaires, même s'il n'avait aucune connaissance de ces analogies, ce qui est fort probable. Puisque nous trouvons la convoitise répartie comme le mobile de chaque pouvoir planétaire, avant qu'il ne subsiste qu'un besoin pur et intégré, il nous reste à distinguer les objets différents vers lesquels s'élancent les tendances psychologiques, et tombe alors une vision simple de la nature, en tout point conforme à ce que révèle le bouddhisme originel. Les convoitises diverses, émotionnelle, désirante, affective, territoriale, structurantes, et narcissiques (s'approprier à bon marché une image de soi valorisante) s'ordonnent de manière aléatoire mais efficace, étant donné qu'une résultante mentale apparaît, automatiquement et sans arrêt, pour apprécier l'état des lieux.

C'est notre fameuse pensée, qui tel le métal liquide du Mercure, peut former en une seule sphère, instantanément, de plus petites qui se rapprochent les unes des autres. Elle mélange les juridictions des tendances psychologiques spontanément, jauge les satisfactions, s'éloigne vers de nouveaux projets, et elle traite miraculeusement, comme si tout était sur le même plan, aussi bien l'idée la plus abstraite que la sensation pure, qu'elle commente. Elle met en lice des orientations, ce qui prouve le nombre conséquent des agents intérieurs, et se créent des drames avec l'alternative, qui débouche sur le concept de «choix», qui lui-même amène ou procède du libre arbitre: une manière d'aborder les fluctuations de l'être intérieur écartelé dans son thème natal avec les Angles, et écartelé dans la vie avec les possibles.

APPROCHE TECHNIQUE 09 UN SEUL MOI, DIFFÉRENTS JE.

La plupart des verbes ne nous concernent pas nécessairement dans notre totalité, mais dans une partie seulement, et pourtant ils nous représentent en entier dans tel moment donné, d'où les frictions quand on change de contexte, et qu'on se demande où est la sincérité si nous adhérons à trop d'objets, qui peuvent devenir incompatibles, que ce soient des amours, des valeurs, des rôles. Pratiquer la discrimination permet de désenchevêtrer les rôles que nous jouons de ce que nous sommes, puisque les rôles sont collants et veulent nous entraîner au-delà de nous-mêmes. Nous pouvons donc établir que chaque agent du septenaire peut dire je, et que certains verbes représentent exactement une fonction:

Je sens,
je désire,
j'aime,
j'organise,
je juge,
je veux ou je souhaite.

Je pense revient à Mercure quand la pensée est libre et passive, sinon Mercure pense pour les autres pouvoirs, et les fait affleurer à la conscience par le discours (Voir séminaire).

Nos instances psychiques peuvent rouler vers leur objet, être rattrapées par d'autres, et plus le moi devient conscient, plus les tendances se ramifient entre elles, et éliminent ce qui rend incompatible leur unité définitive. Il y a, semble-t-il une règle, celle du sacrifice, puisque l'on ne peut pas tout mener de front, sans disperser l'énergie nécessaire de la consécration. L'âme recherche donc comment limiter son champ territorial matériel pour mieux développer le ciel intérieur, afin de ne pas se perdre en préoccupations qui banalisent l'exercice de la conscience, et surtout, elle jette sur le temps un regard neuf. Elle y perçoit la mine de la vérité, et pas seulement du passage chronologique, et elle sait donc renoncer au gaspillage de l'esprit et de l'intelligence, pour vivre des moments pleins de richesse, nourriciers, extatiques, reconnaissants, curieux avec amour, du Mystère.

Le fascinant liquide métallique argenté, si sensible à la température, illustre à merveille le fonctionnement de l'esprit, qui s'éparpille en se projetant, et se rassemble en ramenant à lui ses mouvements, jusqu'à les inclure dans une seule activité souveraine, ni active ni passive, mais qui reflète toutes les sensations, toutes les impressions, et finit par voir les pensées se former par elles-mêmes, comme par magie. Le mental fonctionne avec un génie qui lui est propre et qui nous dépasse, il salue les satisfactions, combine des stratégies nouvelles, reconnaît les manques et les préjudices, il évalue sans cesse, il approuve et dénie, il devient plus libre quand il accueille l'hésitation qui suspend le jugement, et le décroche de la réaction et de l'impulsion.

Mais une réflexion nous montre assez rapidement que le mental n'est pas appropriable. Chaque individu n'en dispose que d'un fragment. Il est si plastique que les philosophes sont divisés sur l'essentiel, qu'il supporte facilement toutes les langues, dont il se moque même de la forme, puisqu'il s'habitue autant aux idéogrammes qu'aux alphabets, et plus on veut le surprendre, plus il se dérobe. Beaucoup ont essayé d'attraper le mental, de lui faire rendre gorge, ils en ont vainement repoussé les limites jusqu'à la folie... D'où l'extraordinaire chance du sage qui s'en débarrasse dans le Brahman, et qui contemple sans saisir rien de particulier, et surtout, sans chercher à prendre. Devant cette énigme de la pensée, puisque toutes nos pensées ne sont pas volontaires (et la bonne moitié arrive pour nous mettre devant le fait accompli de ce que nous ressentons), hiérarchiser les actions de l'esprit devient un jeu libérateur: on distingue la pensée qui tient encore par un fil à la sensation, ou à la mémoire, celle qui s'articule sur des virtualités, soit des désirs ou des souhaits, celle qui veut plonger dans le mystère, et qui invite l'intelligence à fournir des clés pour les vastes passages qui nous attendent.

Aussi faut-il savoir distinguer les différents types de pensée, si nous ne voulons pas nous enliser dans des représentations faites de bric et de broc, où des préjugés rendront caducs un raisonnement, où des ambitions se faufileront dans une étude pour en fausser le résultat, où de mauvais souvenirs tordront le coup à une analyse, tout simplement parce que la pensée procède par amalgames, et qu'elle s'en sort toujours. Elle mélange l'impression sensuelle à l'observation véritable, invente les causes qui l'arrangent pour justifier ses préférences, et s'éprend de former des buts en quantité industrielle, tout en créant de petites motivations contingentes, qui finissent par boucher la vue du ciel intérieur. Savoir ce qui revient à l'être dans cette poussée qui mélange tout, les idées, les concepts, et les ressentis, et même les mémoires, et qui veut articuler des réussites sur des rectifications d'échecs sans aborder les causes profondes, — voilà qui est difficile. Aussi décidons-nous, à la suite d'autres experts, que l'intention guide le mental, et régit la majeure partie de son fonctionnement. Dans quelle intention pensons-nous? Si c'est réellement pour découvrir le secret de Dieu, les pouvoirs psychologiques se plieront à cette intention, et l'esprit finira par trouver des itinéraires nouveaux, puisqu'il malaxera les mouvements des tendances jusqu'à les triturer. Il passera au crible le désir, sous pèsera les besoins, surprendra parfois tamas ou rajas se faufilant dans un enchaînement d'idées sattviques, pour déformer une représentation.

L'espèce utilise le mental, et cherche à ce que les pouvoirs planétaires soient satisfaits, mais la nature ne tient pas compte que leurs intérêts profonds divergent, et nous sommes donc lancés en avant avec un éventail de pouvoirs qui réclament chacun son dû, jouir, profiter, avoir, jouer, être heureux, se sentir en sécurité, se sentir reconnu, trouver une place satisfaisante, percer l'énigme de la mort; et c'est en remontant toujours plus haut que nous découvrons les verbes qui se détachent autant de la matière que de l'espace-temps, et proposent du radical, sans volume ni durée d'existence. Être, en vérité, ne souffre pas d'attributs, d'où le cri de victoire du jivan-mukta, je suis cela, cela renvoyant à tout et à rien, au non-moi entier, qui est devenu le seul attribut digne du moi: c'est le secret immémorial de l'identité du sujet et de l'objet, autrement dit dans notre jargon, de la transparence absolue du mental, qui ne s'interpose plus pour «interpréter» ce qui se passe.

Parvenir à l'immobile, alors que tout l'appareil psychologique se précipite vers des objets, c'est une performance, puisque même saturne se hâte lentement vers des arborescences de règles et des architectures d'Idées. Bref, en démêlant les tendances psychologiques, nous découvrirons que Mercure hiérarchise parfaitement bien leurs mouvements. La lune nous fait tremper dans l'immédiateté absolue, et précipite nos sens dans l'instant et elle n'aura jamais aucun recul, ce n'est pas son rôle, aussi Mercure peut-il l'amadouer en nous évitant des émotions inutiles s'il la prend en charge, et il fera de même avec mars, qui vénère la vie dans le désir, qu'il ne touche qu'à travers l'immédiat, naturellement. Les planètes des signes cardinaux s'approprient l'intelligence de leur élément si nous ne faisons pas de spéléologie intérieure. Rien n'est plus facile que d'identifier le mouvement rapide avec l'intelligence du feu, et de la réduire à Mars en Bélier, aussi faut-il que les actes soient des apprentissages de l'être pour mener au soleil du Lion, et non seulement des actions, et l'identité doit-elle aussi reconnaître le non-moi pour ne pas figer l'énergie solaire dans l'ego, afin d'investir le champ de Jupiter, qui utilisera le feu du Lion en Sagittaire. La lune ne doit pas représenter toute l'intelligence de l'eau, sinon la sensibilité est réduite à l'épiderme et à l'émotion, et ne s'exerce pas à l'intérieur, comme peut le faire l'intelligence du Scorpion, qui mène au-delà d'elle-même, à la connaissance pure, par empathie et intuition des Poissons. Vénus en Balance ne doit pas s'approprier l'intelligence de l'air, sinon la réflexion reste un acte imaginaire idéal, sensible au meilleur, mais aveugle aux faits bruts, aussi est-il nécessaire d'utiliser l'abstraction comme une force de création, tel que le Verseau peut le concevoir, ou comme un mouvement d'investigation libre du réel et des échanges, sans finalité précise, comme les Gémeaux peuvent le faire. Vénus, déjà, commence tant soit peu à libérer de cette double tension incoercible générique, sentir et désirer, qui font du présent rien d'autre qu'un tyran. Avec l'imagination et l'idéal vénusiens qui substituent au réel ce qu'il pourrait être ou devrait devenir, le recul peut être pris d'étape en étape, sans jamais abandonner l'observation et le respect des faits. Alors, toutes les intelligences des signes coopèrent, celles du haut ne méprisent pas le bas, le contingent; celles du bas ne refusent pas le haut, l'ouverture au meilleur, par le changement.

Voilà pourquoi tous les enseignements spirituels insistent sur la libération du désir intempestif et de l'émotion: c'est par là que nous sommes vissés, non pas à l'éternel Présent, mais à la succession bariolée des instants où la vie joue son drame, et nous incrimine, à moins d'un sursaut intérieur, par lequel nous chercherons comment sortir de cet esclavage des sens, comment trouver une distance intemporelle, qui remet les faits à leur place, à partir d'un principe qui leur est supérieur, une éthique, un idéal, une consécration. Puis, après avoir pacifié mars, le chercheur s'attaque à la mainmise de jupiter, qui convoite un immédiat gratifiant sans être lui-même soumis à la prégnance de l'instant. Jupiter ne dépend plus de l'immédiateté, il n'est rivé ni au désir ni à la sensation, mais il la conçoit à sa façon et la recherche à sa manière, on peut même dire qu'il idéalise grossièrement l'immédiateté: elle doit «rapporter», elle doit être gratifiante, elle doit nourrir, mais qui doit-elle nourrir, quel moi? Cette fonction fait son travail: pour elle, l'agréable prévaut sur le désagréable, l'étendue doit donner, le champ doit conforter l'amour de l'existence, le non-moi doit tendre vers le moi des opportunités, comme des caresses. Et pour Saturne, il s'agit de l'équilibrer avec les signifiants qui se trouvent de l'autre côté de la terre, Vénus, Mercure, Soleil. Détaché, il n'est pas immobile, il avance très lentement, une manière qui lui est propre de mépriser l'immédiateté, de la remettre à sa place, rien ne presse, pas d'urgence, l'intensité est ailleurs, dans des écrits incompréhensibles ou des équations indéchiffrables, dans des probabilités rigoureuses. Il recherche des structures dans l'absolu pour un moi qu'il pressent déjà mais ne voit pas encore: ce sujet lassé des sensations et des réussites, et qui accepte les lois souveraines, si elles fonctionnent mieux que les règles subjectives, mais qui peut-il être si le soleil ne décide pas de renverser le temps, et d'opérer le grand retour?

Saturne veut fonder sa conscience sur quelque chose d'indéfinissable, un je-ne-sais-quoi, permanent et indestructible: non pas confortable comme le souhaiterait en aval Jupiter, non pas idéal, comme le voudrait Vénus, mais inaliénable, là où le plaisir est remplacé par d'autres choses, encore évanescentes, des ramifications étranges à l'existence, qui parfois se révèle en un silence tranquille, qu'on aura deviné derrière la vie, et qu'on aura découvert en cachette. Puis l'intention sublime du soleil guidera les dernières velléités de la pensée vers l'Infini, consacrera Mercure en Dieu, et le mental se rendra au Tao, se dissipera en lui, en une courte extase offrant le Réel sans jointures au sujet harassé, enfin libre et détendu.

L'être humain générique est un bébé spirituel, soumis à un appareil psychologique tyrannique, qui précipite comme un seul attelage sept tendances distinctes vers la quête de leurs objets respectifs, dans une sorte de simultanéité triomphaliste, où, quoi qu'on en dise, les mouvements de l'être sont fondés, d'une part sur des tendances instinctives profondes, et d'autre part sur leur ratification culturelle, qui leur donne une légitimité fallacieuse. Jésus voyait déjà dans la religion de la prospérité individuelle un obstacle au partage spirituel: transcrit dans notre système cosmologique, il voyait comme les yeux au milieu de la figure Jupiter dévorer Vénus. On peut aussi, comme l'ont fait les chinois oublieux de Lao-Tseu, confiner la recherche de l'équilibre dans le seul moule social, pour célébrer une harmonie parfaite entre Jupiter et Saturne, l'ordre et l'autorité, qui évacue aussi bien l'individu en le reniant par le bas (la subjectivité devenant suspecte comme un germe de liberté réfractaire), que par le haut, avec l'interdiction de rechercher le tao, au-delà des critères sociaux. Il n'y a rien à redire, l'histoire se répète, les pouvoirs, les dieux, les tendances psychologiques se disputent la psyché collective. La gravitation a récupéré le mental dans son orbite, l'Esprit s'est dilué dans les différents besoins génériques et il s'y est presque solidifié en couches: l'éventail des pouvoirs psychologiques. Il reste présent mais en retrait, puisque, au cœur de la vie, l'appareil perceptif est soumis à deux contraintes fondamentales: l'espace, qui exige un foyer et un territoire pour le moi, le temps, qui réclame la survie et la reproduction du membre de l'espèce. Tant que le moi ne décide pas de s'évader de l'envoûtement de la nature qui se livre à la débauche avec l'intelligence, pour manipuler le territoire ou la durée, le mensonge règne en passant pour la vérité. Les formes d'anthropophagie divines diffèrent, soit, c'est-à-dire que les combinaisons changent pour spolier le moi et la culture de leur ipséité; mais, partout, certains pouvoirs planétaires sont engloutis par d'autres, tandis que les vainqueurs deviennent des despotes, ajournant à jamais l'essor d'une société équilibrée, et d'un individu ramifié, dans l'équilibre, aux forces universelles.



10/Le bricolage évolutif et les tentatives subjectives

Depuis des milliers d'années, en sens inverse de la ratification banale des besoins génériques, différentes catégories de ruses sont mises au point pour éviter la confrontation aux objets convoités par les planètes sensibles, et ces mouvements vont systématiquement à l'encontre des coutumes, en tombant parfois dans l'excès inverse. Certains ascètes évitent de voir des femmes, ce qui ne les rend que plus désirables quand une occasion ou un accident, selon la manière dont la rencontre est interprétée, se présente. Mars et vénus demandent soudain à sortir de leur involution et réclament leur dû, sous l'égide de la lune qui exalte ce qu'il y a de particulier dans ce moment précis où l'objet du désir apparaît. Autour du mythe de Siva, se développe le paradigme de la sexualité comme une entrave à la libération, tandis que sa toute-puissance est quand même affirmée, ce qui donne lieu à des séries de justifications aussi bien de l'érotisme, comme signature fondamentale de la nature, que de l'ascétisme, comme moyen d'élévation. (Siva, W Doniger Gallimard NRF). On peut aussi contourner la lune en s'interdisant les distractions, la nourriture agréable, l'imagination, et ne respecter l'immédiateté que dans le silence, comme le préconisent encore de nombreux ordres monastiques, jetant le bébé avec l'eau du bain, calculant d'obtenir un gain de vérité facile en bridant ce pauvre corps, qui se vengera par la suite. L'on peut aussi réduire le jupiter intérieur aux activités sociales nécessaires, parfois en s'exerçant à des tâches rémunératrices obscures, pour rester uni, comme le préconisaient les taoïstes, mais les partis pris sur le contrôle ou la diminution de l'exercice des pouvoirs planétaires ne s'adaptent pas à toutes les circonstances, et les nivellent. On peut donc douter que des stratagèmes généraux réussissent à quiconque en particulier, vu la différenciation extrême de chacun aux prises avec son circuit énergétique, figuré par le thème natal, mais tout le passé nous renseigne sur les normalisations des champs psychologiques.

Les événements doivent entrer dans un cadre préconçu, sévère ou étroit, qui interdit à mars ou à vénus de reconnaître le moindre objet (beaucoup de mariages sont encore aujourd'hui arrangés un peu partout), ou qui prive la sensibilité de jouir gratuitement d'un coucher de soleil ou du parfum d'une fleur, puisque ces sensations ouvriraient la porte à la revendication de l'inutile, du ludique, et de l'euphorie, dans la société matérialiste triomphante du dix-neuvième siècle. Toutes les cultures cultivent des tabous, d'ailleurs fort différents, pour limiter l'accès au champ du réel, qui doit, par définition, se soumettre à la loi des pères, entrer dans les pochoirs des règles et du culturellement correct, comme s'il s'agissait de la simple pâte à pâtisserie à mettre en forme. Or, le réel déborde toujours les conventions, quelles qu'elles soient, et le «scandale» le prouve, amenant peu à peu la mentalité collective à reconnaître tous les aspects de la psyché humaine qui la dérangent. L'intensité étant ainsi constitutionnellement refusée, le champ panoramique interdit, et la verticalité authentique ignorée, elle trouve son refuge dans la décadence des mœurs, tandis que la médiocrité triomphe dans de fausses vertus hypocrites, dans les cérémonies où le Divin et l'avenir sont des marchandises vénales. Tout cela empêche la grandeur d'âme héroïque et la générosité vraie, ensevelit le risque solaire et l'idéal audacieux, pousse aux compensations basses, à une sexualité dévoyée, à un laisser-aller du corps, qui devient gourmand en plaisirs, drogues et médicaments. Le culte de la cité moderne nivelle ou décapite les élans de l'âme, écrase donc le soleil potentiel, tandis que l'intelligence universelle, altière et prompte, rapide et détachée, doit se soumettre aux seuls balbutiements de la causalité et de l'autorité de la preuve, pour finir enfermée dans un pragmatisme procédurier qui la tue. Nul ne se plaint ou presque, l'obscurité se pare d'éclats trompeurs, le faux prend l'apparence du vrai, somptueusement. (Cfrs Sri Aurobindo, Savitri). Pour le moment encore, aucun modèle culturel universel n'est établi, et s'enfermer dans des valeurs particulières passe pour un engagement.

Plus on évite les planètes subjectives, plus saturne récupère de l'énergie dans le système général du fonctionnement, et plus son exigence peut se développer de manière autonome. Si, à ce moment-là, il ne se tourne pas fermement vers le soleil d'un côté, et vers Neptune de l'autre, il devient en quelque sorte le possesseur de l'identité individuelle, et crée un personnage sec, rigoureux, au jugement facile, dépourvu de toute bienveillance, prêt aux actes les plus impies pour faire respecter les règles, les normes, attaché à la lettre des choses, et soumis seulement à l'apparence du bien le plus conforme, où que ce soit que ce bien sévisse... Autrement dit, une vie spirituelle ne peut être exhaustive qu'en dépassant le mental, ou bien elle n'est qu'une contrefaçon manichéenne, qui génère des sentinelles cruelles pour défendre les lois du territoire, les règles idiotes, l'infaillibilité du dogme. C'est pourquoi la voie qui s'épouse avec joie et amour, sans prosélytisme, engendre des êtres qui transforment leur vision des choses, tandis que les saturniens, plus sensibles au devoir qu'à l'appel de l'absolu, troquent les besoins de la nature contre une convoitise de l'Esprit, qui leur permet de se juger supérieurs et de manipuler des existences plus réceptives. Cette vision s'applique avec bonheur à de très nombreuses institutions religieuses de par le monde, qui, au fil des siècles, ont interdit de vivre Dieu, pour asservir les masses en prétendant représenter Son autorité. (Cfrs Apocalypse de Jean).

Le besoin de sublimer les tendances subjectives, amoureuses du gratifiant, et qui se laissent ensorceler par les charmes du non-moi, réside au cœur de la voie spirituelle, mais la nature défend son âme en nous, et nous pousse à jouir de toutes sortes de possessions. Sublimer sans intelligence les pulsions, conduit plutôt à les refouler, avec le risque d'un retour de bâton intempestif, qu'à véritablement les dépasser, à moins que le sacrifice soit entièrement consenti. Mars se réfugie systématiquement dans une colère froide et agressive, contenue, pleine de fiel, chez les ascètes qui souffrent par trop du renoncement au vital. Les femmes qui s'interdisent l'amour humain par obéissance à un dogme plutôt que par sacrifice pour leur époux divin, entretiennent des tensions qu'elles libèrent, par le principe des vases communicants, soit dans la gourmandise émolliente, soit dans le surmenage dévotionnel, par lequel l'action obsessionnelle et le rite finissent par engloutir le moi, qui tutoie parfois avec délices un dieu imaginaire. Quant à l'évitement du processus jupitérien (par lequel, ordinairement, le sujet obtient une place privilégiée dans son milieu naturel), il n'est pas forcément innocent non plus sans une grande vigilance. La tentation de se fabriquer un rôle, de représenter quelque chose de supérieur ressuscite dans n'importe quel contexte, et tente de séduire l'adepte naïf dans son clan, son monastère, sa caste, son groupe privilégié. Se dispenser d'investir le jupiter intérieur, et le voici à l'affût d'un personnage opportun à créer, une sorte d'intermédiaire entre ce que l'on vit et l'écologie ésotérique choisie, un double de soi-même plus exalté que compétent, et qui ne répugne pas à régner sur un territoire dogmatique ou idéologique, pour créer du tissu existentiel à partager. L'intégrisme et l'intransigeance de saturne sont également à rappeler pour compléter le tableau des déformations qui guettent une voie spirituelle incomplète.

L'absolu de la connaissance exige, pour le sujet qui aspire au Divin, qu'il gagne le soleil à travers Vénus et Mercure, pour fonder une identité subjective évolutive, gagnée définitivement à la lumière, et qu'il traverse de l'autre côté les manipulations génériques de Mars, Jupiter et Saturne, pour recevoir l'investiture uranienne et le baptême de Neptune.

L'alchimie commence de toute façon par la purification lunaire. Sans cette remise en ordre de l'émotion, sans le long apprentissage qui consiste à la vivre sans s'y noyer, sans la surenchérir, la lune contamine symboliquement les maisons adjacentes du Cancer, emberlificote le soleil dans sa propre glu événementielle pour maintenir l'identité dans le contingent, et épaissit les facultés d'intelligence de Mercure, en ne le laissant pas voler de ses propres ailes, vers l'abstraction souveraine qui permet toute désidentification.

On le voit donc avec innocence et aussi avec une certaine compassion, que ce soit la banalisation des tendances génériques dans une conformité médiocre qui institutionnalise leurs objets et leur convoitise de principe, où que ce soit l'effort individuel qui s'attaque à cette convoitise, comme le voulait Bouddha, la nature se défend dans chaque tendance particulière, et, si elle finit par se soumettre sur un plan, c'est pour d'autant mieux résister sur d'autres, ce qui rend l'éveil difficile. Selon son caractère, chaque sadhak vient à bout d'un ou deux couples, mais cela peut entraîner une résistance supérieure de ceux qui restent à transformer, ou ne pas l'entamer.

Dépasser le couple soleil lune dans ses manifestations archaïques, signifie que l'on a entièrement renoncé à instrumentaliser le moment comme un faire-valoir personnel. (Même à travers des pratiques spirituelles, qui peuvent être foncièrement narcissiques...)

Dépasser le couple mars vénus bourbeux signifie que le désir perd toute autonomie et ne se manifeste que sur un mode vénusien, ce qui possède une incidence immédiate sur la sexualité.

Dépasser le couple saturne jupiter normalisé signifie que l'identification à l'action et au rôle sociaux ne l'emporte plus, comme préoccupation, sur la quête, et qu'elle y est même subordonnée.

Vers le soleil, la voie permet de découvrir l'unité subjective, le ton particulier de l'âme, le secret de l'être psychique, ce qui fait que chaque individu participe différemment du même Être, et peut donc manifester à sa manière l'impersonnalité elle-même. Vers Pluton, le moi se soumet aux portails initiatiques, les franchit dans l'ordre naturel de son thème, ou celui imposé par les transits lourds, puis il gagne les porches de la profondeur en acceptant les épreuves chaque fois davantage tels des dons. Les fonctions psychologiques retrouvent ainsi leur valeur universelle, après avoir abandonné l'impérialisme de la conquête double, celle de l'étendue avec les appropriations insatiables des objets matériels, et celle de la durée, avec la culture triomphaliste du désir. Nettoyer le mars générique de la violence et de la convoitise, et voilà qu'il devient l'initiative inspirée, l'exécutant de l'œuvre qui procède de la connaissance, et il peut être mis, quelquefois, au service de l'amour dans une sexualité distanciée et rare, en alternance avec la chasteté intégrale, qui semble elle aussi nécessaire, pendant de longues périodes d'affilée. Libérer jupiter de la soif du territoire gratifiant et de la prospérité exponentielle, son élan générique, et le voilà ouvert au ciel inétrieur, comprenant que l'illimité ne peut pas s'encercler, que l'Infini est disponible à condition de refuser d'en être le propriétaire, dans un aveu d'humilité et de renoncement qui renverse les moteurs les plus élémentaires de son pouvoir. Quand jupiter refuse la stratégie, il ne trahit que son passé et sa mémoire, et c'est ainsi qu'il découvre, au-delà de tout mouvement vers l'appropriation matérielle ou la possession vitale et intellectuelle, un champ qui l'accueille et le nourrit, sans qu'il ait besoin de lui dérober quoi que ce soit. C'est une étape très importante de la sâdhana, que peu de chercheurs franchissent, s'ils confondent l'aspiration pure à la connaissance (purement réceptive et désintéressée), avec le désir de l'obtenir, qui s'encombre toujours de manipulations de la durée plus ou moins innocentes, inspirées ou pragmatiques, avec le risque de créer le personnage du «chercheur», — soit un second ego au carré.

Si l'intelligence de l'aigle est donnée au pèlerin de l'absolu, il comprend que le rite n'est qu'un pis-aller, un rappel convenu et lourd, d'une vérité toute simple: que chaque moment est sacré, que chaque instant est le souffle de Dieu. En trahissant les fonctions génériques, qui rendent profane le passage du temps en le liant aux objets convoités et en le banalisant dans le conforme, le moi retrouve dans n'importe quel contexte la présence divine, et n'a donc plus besoin de s'embarrasser de procédures rituelles. Il y verra d'ailleurs, un jour ou l'autre, avant de les abandonner, qu'elles étaient investies de pouvoir magique, chargées de rassurer sur l'obtention de faveurs, rendues ainsi moins aléatoires, juridiquement établies en quelque sorte. Toute forme de rite dépassé, il ne demeure alors que des pratiques pragmatiques, en général reliées à la gestion impeccable du corps, sur lesquelles on peut compter (sans renchérir) pour des résultats concrets, tandis que les simagrées émotionnelles et intellectuelles qui sacralisent l'instant sur mesure, sont vues comme des contrefaçons, des manières ancestrales de se donner le change sur une consécration qui n'en est pas une, mais qui peut passer pour telle, décorée de colifichets conceptuels et de rêveries héréditaires. La vraie bhakti peut elle aussi se passer de tout decorum, éviter toute cérémonie, et s'exercer n'importe où et n'importe quand, sans autre calendrier que celui qui suit l'occurrence des événements eux-mêmes. Certains éprouvent intensément le besoin de s'en remettre à Dieu dans les moments d'exaltation, comme pour les couronner par cette reconnaissance de leur origine dans une offrande consciente pleine de gratitude, d'autres se rapprochent du Divin, sans tricher, sans rien demander, dans des moments difficiles, qu'ils acceptent, tout en s'arc-boutant sur le projet évolutif qui permet d'endurer les pires souffrances. Enfin, l'on peut en permanence sentir le souffle divin dans tous les événements de l'existence, si tous les pouvoirs planétaires ont été nettoyés de leurs survivances dynamiques, l'aspect brut et générique de leur manifestation, à cheval entre le subconscient et le mental.

La lune est attachée au présent, et épouse donc les guna en tourbillonnant au gré de leur occurrence intérieure, Mercure doit être sattvique en principe, mais il possède un fond de rajas subconscient (survivance de la ruse animale), et il se laisse manipuler par les deux autres guna, mars ignore tamas et exprime rajas, se moque de sattva dans tous les processus de survie et de capture brute du plaisir, jupiter augmente le pouvoir des planètes auxquelles il est lié, et il est difficile de le caractériser, souvent sattvique et rajasique simultanément, il oscille, combine, et perd facilement le sattva dans la satisfaction pléthorique. Ces approximations ne sont pas opératives, mais confirment que ce sont bien les mêmes principes que nous retrouvons à l'œuvre dans la manifestation, et que leur liste est courte, tandis qu'on comprend mieux que, les guna étant répartis dans les pouvoirs psychologiques, ils se combattent à travers eux. Plus la matière règne, plus tamas est puissant; plus le mouvement domine, plus rajas s'exprime. Ainsi, il y a une coagulation du moi au fond du ciel, qui se stabilise à travers une accumulation d'habitudes qui s'enfoncent dans le réel, et correspondent au Cancer, et à la lune nourricière, avec le risque de s'enliser dans des perpétuations immuables. Le milieu du ciel matérialise le pouvoir qui en est le plus proche, que le sujet peut ressentir comme une force stable, qui le traverse, avec le défi de l'utiliser sans se sentir manipulé, alors qu'il structure sans relâche. L'axe ascendant-descendant s'ouvre en revanche à l'immédiateté, reconnaît le pouvoir transversal, chaotique, hétérogène du moment pur. L'être est pris dans la vitesse chronologique au moment de sa naissance, par le premier respir, et Mars convient parfaitement pour symboliser le besoin de capturer le moment par le désir pour se l'approprier, comme Vénus au descendant symbolise l'ouverture passive à la totalité, le nutriment exhaustif du moi. Le rétablissement de l'équilibre entre le moi formé dans l'hémisphère inférieur et son ouverture à l'altérité en maison 7 est symbolisé par la maison 8, où le non-moi devient souverain, s'approprie le sujet, et lui rappelle sans arrêt que vivre n'est rien d'autre qu'un échange de contrats permanents entre le moi et le Tout. Pour comprendre qu'il peut arriver «n'importe quoi» en maison 8, il suffit de voir que c'est là que le sujet est entièrement réintégré dans la totalité, pour la première fois, avec d'un côté sa fonction sexuelle, et d'un autre côté sa dépendance absolue vis-à-vis du champ, par les événements qui le dépassent, et qui le situent malgré lui, les deuils ainsi que sa propre mort involuée. Mars dans le Scorpion signifie donc que seul un mouvement continu vers l'intérieur du sujet, soit l'appareil psychologique avec ses nervures, et plus loin vers le Soi, permet au sujet de faire face à l'engloutissement par l'étendue, que représente le champ de la maison 8. Mars (symbole du mouvement lancé) dans le signe fixe de l'eau, sous-entend la découverte du monde intérieur, et la nécessité de l'agiter pour en vaincre l'inertie (ce qui correspond aussi à la maîtrise de Pluton si l'on veut). Après cette révélation désobligeante, qu'il n'y a de réel que la navette entre le moi et le non-moi dans le souverain présent, le sujet ne pouvant s'isoler du tout, quelle que soit son autonomie, l'être humain reçoit le soutien de Jupiter en 9e maison, pour lui permettre d'explorer le champ du réel symbolisé par la maison 8, soit l'étendue de l'espèce dans le temps avec la sexualité, et dans l'espace avec l'univers des souverains possibles, non souhaités, les événements non gratifiants. La 9e maison, par définition, éclaire la précédente, Jupiter apparaît enfin pour ordonner, étant bénéfique par essence, entrelaçant le moi avec le non-moi, tandis que Mars suggère plutôt des oppositions de principe entre le sujet et le Tout dans la 8. La maison 9 peut donc contrebalancer la 8, suggérer des ouvertures favorables qui préviendront la manifestation des obstacles en 8, ou permettront de les vivre de manière évolutive.

Vu que le passé n'est plus, et l'avenir pas encore, la navette entre le moi et le non-moi, dans l'immédiateté éphémère de chaque moment, est un principe aussi important que le moi permanent ou «sujet», vu comme socle d'identité qui se déroule de la naissance à la mort. Nous ne savons pas exactement ce qui reste aujourd'hui de ce que nous avons été auparavant, pas plus que nous ne pouvons anticiper aujourd'hui sur les prises de conscience qui ne pourront se produire que demain, à partir de sa substance propre. L'immédiateté est donc beaucoup plus transformatrice par essence que ce que tout le monde imagine, puisque, quelle que soit la mémoire que nous en ayons, nous ne sommes déjà plus, ni physiquement ni mentalement, incrémentés dans le passé. Le mutant spirituel refuse que le moment présent soit le sillage de la minute précédente. Cela implique une marge de manœuvre disponible, considérable pour les pouvoirs planétaires, qui peuvent du jour au lendemain transformer l'approche de leur champ, surtout si le moi cherche à établir un seul champ, orienté vers la connaissance, en rassemblant sous une unique juridiction les secteurs spécialisés qui se battent à leurs frontières. Les meilleurs commentateurs du bouddhisme n'ont rien voulu dire d'autre quand ils ont établi l'impermanence telle la donnée même de l'existence, qui parcourt le chemin vers la mort, avec l'entropie qui désagrège. S'appuyer sur l'impermanence pour évoluer, c'est aussi le secret du taoïste, qui, ne s'attachant à rien de ce qui se déroule, finit par rencontrer ce qui ne se déroule pas.

Ressentir les pouvoirs planétaires comme des flux balayant leurs propres champs, constitue l'enjeu de la connaissance, qui rassemble dans l'unité après être venu à bout de l'écartèlement cardinal (Projection des pouvoirs autour des deux axes AS/DES et FC/MC). Les trois guna peuvent être dépassés au terme d'une ascèse intelligente, telle l'émergence définitive du soleil, du Moi, accompagnée d'une conscience nette et pure des fréquences uranienne, créatrice, et neptunienne, réceptrice, en alternance harmonique. La conscience du Brahman tolère de petites modifications qui viennent ponctuer la réceptivité et l'activité, sans compromettre la stabilité intérieure. Les sens permettent des variations de ressenti en fonction des contextes, car l'Incarnation subsiste, même dans l'absolu. Quant au supramental, il se manifeste dans l'immédiateté la plus rapide et la plus concrète, mettant au défi le sujet de conserver un socle serein en toutes circonstances.



11/Les propriétés de l'intelligence quantique

La philosophie de l'astrologie ne peut donc être limitée à un cadre particulier, puisque ni la philosophie, ni l'astrologie ne peuvent se permettre de mettre de côté quoi que ce soit. Il n'y aucun objet qui puisse être réellement hétérogène pour la cosmophilosophie: elle ne peut plus se permettre de découper en rondelles le réel sous prétexte d'en dégager ce qui est important et ce qui ne l'est pas, ce qui reviendrait à établir des angles morts dans le présent. D'autre part, nous pouvons établir que l'esprit, notre Mercure étincelant au service du soleil, possède une vision panoramique de la réalité, dès qu'il découvre que les tendances psychologiques, si toutes fonctionnent dans leur champ respectif, couvrent dans leur ensemble la totalité du champ du vécu, en se partageant l'interprétation de l'espace et de la durée. L'habileté consiste donc à employer le pouvoir ou le couple qui correspond le mieux à la situation qui se présente, ce que la nature ordinaire interdit en imposant les survivances dynamiques comme étant des réponses, alors qu'elles ne sont que des réactions. Pardonner, c'est aller à l'encontre de la nature générique, qui exige la vengeance, c'est substituer le pouvoir de l'individu solaire à la force brute du membre de l'espèce, c'est faire triompher vénus, assistée d'autres puissances, à la place de mars et saturne qui voudraient l'emporter, «faire mal» en retour pour se libérer du préjudice subi.

La manière dont nous repoussons les limites de l'astrologie est destinée à faire comprendre qu'aucun angle mort ne doit subsister dans notre approche du moi, du non-moi, et des liens qui les unissent.

La théorie du système général (Bertalanffy, Le Moigne) ouvre enfin des perspectives pour permettre à tous les chercheurs de dépasser la dogmatique, c'est-à-dire l'illusion de pouvoir créer un cadre homogène pour saisir les événements en les enfournant tous du même côté dans une logique imparable (qui donne du sens au présent et l'oriente ainsi vers l'avenir). L'entropie constitue une donnée fondamentale du monde physique, et nous devons donc appliquer a priori son principe: tout tend vers le désordre. Une certaine réflexion est nécessaire pour assimiler cette vérité, mais les sources aujourd'hui ne manquent pas, et ouvrent de nouvelles pistes. Les pièges intellectuels qui construisent des concepts pour capturer du sens dans les événements sont, d'une part, soumis eux-mêmes à leur propre érosion et au jeu entre leurs pièces, tandis que, d'autre part, certains facteurs passent à travers leurs grilles, puisqu'ils semblent hétérogènes, comme de petits poissons peuvent traverser une nasse par exemple. Le premier danger, dans tout système d'interprétation, provient donc de l'entropie: Les dogmes finissent par s'effondrer sur eux-mêmes, car vient un moment où ils ne renvoient plus aux événements qu'ils sont censés interpréter, mais ils s'organisent seulement pour défendre leurs propres règles et justifier leurs prérogatives en circuit fermé, les unes épaulant les autres, jusqu'à faire disparaître leur finalité, absorber le réel en lui donnant du sens, remplacée par une auto-justification fermée en boucle. Tout système pervertit son fonctionnement s'il est trop préoccupé par ses propres contraintes d'assemblage en vue d'une convergence de toutes ses parties vers la finalité d'ensemble. Il perd son énergie à se maintenir lui-même, au détriment de ses échanges avec l'extérieur, ce qui explique l'échec des grandes institutions religieuses qui finissent par travailler pour elles-mêmes, ou encore la faillite de certaines grandes entreprises qui, si elles sont mal organisées, s'écroulent sous le poids de leur propre administration, ou encore la décadence rapide de certains régimes politiques, qui soudain se transforment en trous noirs, les dirigeants s'occupant exclusivement de l'appareil. Transférée dans notre étude, nous retrouvons exactement la même chose. L'éventail psychologique septenaire doit à la fois maintenir sa cohérence interne et œuvrer pour l'échange avec le non-moi. Si la structure interne commence à défaillir, les pouvoirs planétaires s'observent du dedans, oublient leur fonction extravertie, et sont prêts à se déchirer. L'intérieur craque souvent sous la pression extérieure, puisque l'humanité ordinaire croit dur comme fer aux événements et aux circonstances, et beaucoup moins en l'Esprit qui demeure déjà dans son système de perception. Toute l'énergie mentale disponible est alors dévolue au travail intérieur, qui patine comme un véhicule dans la boue, tandis que les sens perdent de leur acuité, et que le monde extérieur, le non-moi, devient un étranger, un monstre ou un parasite. On sait que saturne peut culpabiliser à l'envi, et détruire le moi avec un je qui devient terroriste, et remonte de jour en jour vers les structures profondes de la personnalité, pour la ramener à une lourde présence encombrée d'elle-même. On sait que Pluton et mars peuvent flirter vers l'auto destruction du moi, que lune et vénus peuvent tomber l'une dans les bras de l'autre et installer le sujet, souvent féminin, devant le frigidaire, où tout commence et tout s'arrête. Uranus peut susurrer des initiatives folles en déréglant la thyroïde, Neptune propose éventuellement le laisser-aller intégral, après des résolutions qui retombent comme des soufflés, une éthique de la négligence telle une parfaite contrefaçon du lâcher prise... Et même le jupiter intérieur peut soudoyer le soleil et la lune et créer de toutes pièces un escroc désabusé, sans repères, qui sauve le moi en le mutilant de moitié. Tous les coups sont permis quand l'entropie l'emporte, pour maintenir un semblant de fonctionnement.

Mais le second danger n'est pas moindre, et tient à la morphologie du système lui-même, qui ne peut pas tout contenir, tout déchiffrer, tout vérifier. Tout système d'interprétation (dogme ou théorie) possède une forme, un calibrage de critères, qui, par définition, le réduit à un fonctionnement foncièrement limité. La fin de la dogmatique, remplacée par une méthode qui saurait reconnaître elle-même ses propres limites au fur et à mesure de son ouverture au réel, est l'outil que l'on cherche actuellement pour se libérer des enfermements intellectuels dans les sciences humaines et la philosophie. Dans ce domaine, la science donne l'exemple, puisque, aujourd'hui, une théorie n'apparaît qu'affectée à un ensemble de phénomènes, ceux sur lesquels elle a prise, et, dès le départ, ce qui est hétérogène par rapport aux principes employés, peut être détecté, sans erreur possible. L'aveu que la théorie dépend des faits qu'elle permet d'encadrer, et n'existe donc pas en dehors d'eux, constitue une découverte très humiliante pour le mental, et, précisons-le, fort récente, la dernière décennie du vingtième siècle, mais ce n'est que l'aboutissement le plus logique de la mécanique quantique, qui, depuis un siècle exactement, a projeté l'intelligence humaine dans un nouveau monde où les échelles archaïques ont été remplacées par de nouvelles échelles.

Tandis que la période de six mille ans apparaissait, avant Darwin, comme un segment considérable, suffisant à la création du monde, cela constitue aujourd'hui un fragment dérisoire de durée. Tandis qu'une seconde pouvait passer pour une courte durée, l'on sait aujourd'hui que cela constitue une distance très conséquente sur les plans subatomiques (trois cent mille kilomètres d'espace-lumière)... C'est-à-dire une longue distance, ce que le supramental révèle également en dilatant parfois considérablement la sensation de la durée (Mère l'évoque, et je l'ai expérimenté moi-même, certaines actions directes de la Force dans le cerveau peuvent donner l'illusion qu'il s'est passé par exemple plus d'une demi-journée en une heure seulement, et la confrontation à une montre remplit d'étonnement). Même si les orientaux ont pressenti des périodes interminables comme nécessaires à l'élaboration de notre univers sans la science, c'est avec nous qu'ils découvrent aujourd'hui le monde de la vitesse pure, dans l'infiniment petit, bien que certains se soient déjà amusés à diviser l'instant jusqu'à son point irréductible, à partir duquel il ne peut être à nouveau scindé. C'est d'ailleurs une période très brève, conçue comme l'unité immobile à travers laquelle nous percevons le réel, là où se tiendrait, en quelque sorte, le possesseur du soi, enraciné dans l'immobile. Il verrait se dérouler, à partir de ce champ toujours identique à lui-même, mais se succédant à toute vitesse, le spectacle du monde, comme une suite de clichés photographiques excessivement rapides, ou comme un film... Soit, mais en dehors de ces allusions inspirées sur la nature du temps et de la caméra que le soi fournit afin que le sujet reste immobile dans le pur mouvement, se reconnaissant dans tout objet tombant sous son regard, nous ne connaissons pratiquement rien de la durée. Nous pouvons sans cesse la diviser dans le nombre d'unités qui nous arrange. On peut par exemple scander notre journée, avant de nous endormir, dans un examen de conscience qui va amener à la surface quelques nervures, quelques bifurcations intéressantes dans notre ressenti, trois, quatre, cinq prises de conscience particulières et inattendues, et tout ce monde-là est bien le nôtre, plus intime que l'univers événementiel, puisque c'est le monde à partir duquel nous agissons sur l'extérieur. Nous fragmentons le temps, mais cela lui donne du sens, nous passons notre vie au montage, comme le célèbre Jean-Luc Godard. Nous rapiéçons au mieux des séquences de temps, pour trouver du sens, mais cela n'est pas l'absolu, lui qui coule sans couler, et ne sépare plus les aspects du moi, et sent le sens des choses dans toutes les situations.

Le monde intérieur peut toujours se raffiner, découvrir de nouvelles possibilités de l'intelligence, investir les émotions affectées à des événements, et voir si elles les exultent ou les condamnent, les encouragent ou les déboutent, mais toutes ces saisies intérieures ne sont pas aisées par elles-mêmes, puisqu'une fonction peut tricher, prendre son porte-voix, parler plus fort que les autres pour s'approprier le présent. En fait, nous découpons la durée objective en de milliers de petites séquences pleines de sens sur le moment, «nous percevons», mais la question de ce que nous faisons de ces matériaux reste ouverte, puisque nous avons des systèmes personnels pour raccorder une séquence à une autre, là où le voisin ferait tout autre chose. Personne n'est traversé par le présent de la même manière, certains le mécanisent, d'autres apprennent à chaque minute, certains le reconstruisent sans cesse a posteriori et ne savent même pas ce qu'ils vivent dans la réalité, puisqu'ils n'accordent du sens au ressenti qu'après coup, ou bien, ce qui revient au même, que s'il est conforme à un plan préétabli. La pensée, tant que Mercure n'a pas été renversé vers le soleil vainqueur de saturne, cherche à filmer ce qui se passe, et tout ce qui ne correspond pas à ses attentes dans le moment qui se déroule est estompé, gommé, effacé, ou passe même inaperçu, en particulier chez les narcissiques purs, — au soleil qui tyrannise toutes les autres fonctions, et les saturniens bon teint, — chez qui le maître gris trône en intimidant tous les autres pouvoirs. Il n'y a finalement que les chercheurs rompus au discernement, et qui laissent leur appareil psychologique adhérer au non-moi sans crainte et sans désir, qui peuvent s'exposer à l'événementiel sans filmer leurs propres attentes dans le flux circonstanciel, à l'affût de leur apparition.

Si l'être humain ne cherche à percevoir dans le réel que ce qu'il a déjà établi et peut conforter ses demandes, (car le même aime le semblable et hait le différent), il passe son temps à exclure ce qui ne correspond pas à sa vision limitée et subjective des choses. Vaste débat, celui des projections, qui nous ramène à la suspension libératrice de l'esprit, quand il renonce à interpréter, et appelle ainsi des pouvoirs supérieurs, l'intuition, l'empathie, l'insight. Ces nouveautés psychologiques fournissent clés en mains le potentiel de toute situation hétérogène ou imprévue que le sujet reconnaîtra dans sa légitimité propre, hors de son filet à capturer du sens, dont les mailles sont trop petites ou trop espacées pour ramener tout ce que la réalité présente veut dire.

La facilité avec laquelle nous pouvons découper le temps en segments significateurs est ahurissante. Pour l'homme ordinaire, il n'y a pratiquement pas de découpage, tout se tient, la viscosité lunaire l'emporte. Pas de fractures, pas de seuils, pas de ratages, même les émotions difficiles s'inscrivent dans le moi, rien n'est suffisamment hétérogène pour que le moi se mette en demeure de trouver un nouvel angle de perception des choses, la remise en question est tout bonnement impossible, la seconde naissance ajournée. Au contraire, le chercheur spirituel avancé perçoit des centaines de choses nouvelles dans une seule journée, qui n'ont pas toujours leur place dans son référentiel, et il laisse donc ouverte une brèche pour l'inconnu, retient des réactions et des jugements de valeur sur ce qui ne cadre pas avec son propre mode de vision: il évolue. Il ne détruit pas l'incertitude, il ne la redoute plus, il ne vénère plus la certitude, il sait qu'elle est provisoire. Il accepte intégralement le pouvoir de transformation de l'immédiateté. La fonction lunaire ne fait plus obstacle entre le soleil et lui, les émotions sont vécues comme des repères précis entre le moi et le non-moi, qui guident les rectifications. Le sujet vit dans un système ouvert, il «travaille» la navette (moi-non-moi) en sortant des sentiers battus de la conformité générique. Les offenses ne l'offensent plus, les compliments s'adressent à un autre, —le personnage qu'il représente. Le trajet entre le moi et le non-moi n'est plus visqueux, les attentes ne partent plus en avant capturer leurs objets, à l'affût de l'approbation et du gratifiant, les craintes se sont dissipées, et l'on ne recherche plus à subir des menaces en les provoquant.

C'est cette révolution-là qu'un militant évolutif préconise sans violence, si on l'interroge. Il évoquera la capacité de retenir l'identification à l'objet qui se présente, ou de retenir son rejet, le tout dans une perspective qui n'est pas une indifférence, mais un ressenti qui s'immobilise, capte des signes hors des repères habituels, comprend directement, sans même passer par des critères, qui notent les événements. Or, le mental veut le contraire, interpréter à tout prix, même n'importe comment, interpréter tout ce qui se présente, plutôt que laisser quelque chose se produire qui ne puisse s'intégrer dans le cadre habituel. Bien sûr, des écoles ont déjà présenté la voie de l'éveil de cette manière-là: cesser l'interprétation et laisser le Soi jaillir de l'intérieur. Mais la pensée est un adversaire puissant, presque incoercible. Nous préférons en ce qui nous concerne utiliser les armes de l'adversaire, et accepter le pouvoir du mental, d'autant que notre civilisation développe la vision de la complexité et s'habitue au génie de l'esprit. Conjuguer la raison rigoureuse, capable de découvrir les falsifications des constructions fermées, avec l'intuition solaire, qui se ramifie aux plans les plus purs de l'intelligence, et révèle dans la vision ce que le raisonnement ne fait qu'ébaucher maladroitement.(Cfrs Méditation quantique).



12/Le champ exhaustif

Vis au-dedans,
ne sois pas bouleversé par les circonstances extérieures.
Sri Aurobindo, aphorisme 189

Naître, c'est apprendre à plonger en soi-même, affronter la peur de la descente dans l'obscur, là où l'on cesse de se justifier pour atteindre ce lieu magique où il n'y a plus rien à défendre: le soleil archaïque a rendu les armes et tant pis pour l'humiliation infligée, elle révèle l'arc-en-ciel, le potentiel solaire qu'un orgueil ancestral dissimulait. Puis le vieux saturne baisse les bras, lui aussi, et tant pis pour la culpabilité et la honte qui s'emparent du moment, bienvenue donc à l'aveu de la faiblesse ou de l'incurie: dresser le procès-verbal de ses «péchés» permet simplement d'évaluer l'enjeu évolutif, la résistance de l'adversaire à notre projet absolu, tout en prenant de nouvelles responsabilités pour transformer le dispositif psychologique. Et ce qui représente une offense pour les pulsions génériques, embourbées dans la pulsion de vie triomphale, constitue une bénédiction pour notre moi solaire, et un chantier pour notre aspiration, qui évalue le chemin à parcourir, sans se précipiter sur un itinéraire. Sans une nouvelle intelligence, d'une souplesse inouïe, et délivrée du but d'établir définitivement des règles, nos pièges à enfermer le réel dans nos représentations nous donne le change, admirablement, jusqu'aux événements hétérogènes, qui feront éclater nos barèmes, nous plongeant dans la crise. On aura beau s'entourer de précautions saturniennes et décréter ce qui est bon ou mauvais, positif ou négatif, dans un système cohérent, pour soumettre l'itinéraire cosmique à nos pas calculateurs, nous pouvons faire confiance à deux facteurs différents pour faire exploser nos prisons mentales faites de détours rassurants et de raccourcis trompeurs.

A l'entropie d'abord, car tout se désagrège. Maintenir un couple, un travail, une sâdhana dans les mêmes règles, se heurte à la force des informations immédiates qui pénètrent le système de valeurs employé. Et nous pouvons aussi faire confiance aux cycles des pouvoirs lointains pour remettre en cause nos obédiences, nos modes relationnels, notre inscription sociale et notre santé. Uranus excite un point du thème natal, et cela peut être suffisant pour produire une insatisfaction générale, qui arrive comme un voleur, pour dérober le bonheur conquis, mais déjà, peut-être, enlisé. Neptune franchit un angle ou bien rencontre un signifiant par transit, et voilà que des choses s'estompent, des motivations se diluent, des projets se forment en-dehors de toute réalité objective, comme les anges d'un futur qui réclame son dû. Et pour peu que Pluton intervienne, parfois par un simple carré de sa position actuelle à un pouvoir du radical, et l'homogène explose, éventuellement dans un seul secteur, celui du signifiant touché, mais cela peut aussi provoquer une réaction en chaîne, jusqu'à la démission de l'ego, et la perte du sens existentiel. Le moi et le non-moi viennent donc de se disjoindre par une rupture radicale, et le non-moi part en emportant les meubles, il s'arrache du moi et le congédie, puis le laisse orphelin. Il ne peut alors rester qu'une identité blessée, découragée, parfois anéantie, un raccourci pour l'évolution divine, et tant pis si, pour casser l'ego, la vie brise aussi quelques qualités célestes, que le sujet retrouvera, à un niveau supérieur, quand il reprendra le chemin suprême. La nature bricole, la matière n'est pas l'Esprit, le poids règne. La gravitation tire vers le bas, dans le domaine du mental, c'est l'habitude qui rassure par ses ornières conformes aux orbites, tourner en rond, assujettir, instrumentaliser: voilà la quête du mental générique, assoiffé de légitimer le désir et d'écarter la peur. Aussi le pire bouleversement, pour le sujet subjectif, peut-il s'avérer montrer la piste de l'essentiel, et révéler que l'événementiel n'est qu'un décor. Le mercure naturel, quel que soit son signe et sa maison, se contente donc de broder chez chacun des pensées qui suivent le fil des événements, en mélangeant les juridictions des pouvoirs planétaires: on trouve toujours de bonnes raisons pour éviter de faire ce qui nous ennuie, pour justifier notre complaisance, ajourner des contraintes, et nous ne reconnaissons pas les bons arguments de nos adversaires, quand notre vision du monde est différente. Une vieille intelligence en nous veut s'approprier le réel jusqu'à ce qu'il nous corresponde, ce qui se traduit souvent, chez les pères, par un refus du fils différent, qui risque de traîner toute sa vie un besoin de reconnaissance insatiable, et chez les mères, par une préférence pour l'enfant le plus conforme, qui gêne les autres. Nos choix sont souvent bancals, ou castrateurs, la réalité étant trop large pour nos demandes, et l'ajournement permet à certains de tergiverser en courtisant des motivations antagonistes, tandis que la précipitation permet à d'autres d'en finir avec les hésitations, pour le meilleur ou pour le pire. D'où cette fameuse carotte de l'objectivité que tout chercheur intellectuel ou spirituel, cherche à atteindre, comme pour trouver l'étalon de mesure infaillible de toutes choses.

APPROCHE TECHNIQUE 10 RÉHABILITER LA MAISON 9


Mais, en premier lieu, ce que l'humain générique ne pardonne ni à Dieu ni à la vie, c'est l'immensité de la réalité, qui oblige à ce qu'on y découpe les seuls petits carrés de nos territoires d'appropriation affective, morale, et matérielle, avec le ciseau saturnien qui fixe quelques valeurs, sépare le positif du négatif à partir de critères, non pas expérimentaux, mais hérités de la famille, de la culture, de l'époque. Le mental n'est pas honnête avant que saturne passe du côté du soleil, et trahisse symboliquement l'empire lunaire, l'attachement à la viscosité du présent, l'amalgame sensuel entre le moi et le non-moi, qui sacre le gratifiant comme Dieu, et fait du présent rien d'autre que le prolongement du passé, en refusant son pouvoir transversal, qui bouscule l'itinéraire prévu.

Puis il sera nécessaire de trahir vénus et ses attentes mirifiques, son idéalisme adolescent, son flirt imaginaire avec le Divin, sa reconnaissance esthétique du meilleur (à condition qu'il ne soit pas inaccessible), tout en conservant son pouvoir d'aimanter la gratitude, et de se donner dans l'amour. Puis se manifeste l'opportunité de trahir mars et son désir permanent de conquête sexuelle, et de dépasser aussi le besoin de tout combler par l'action, et de meubler le vide intérieur par l'activité. Enfin, il s'agit de renverser jupiter, le gourmand, qui s'enivrerait bien de territoires à annexer, d'espaces à savourer, de satisfactions emboîtées les unes dans les autres dans un art de vivre d'acrobate, et de lui offrir le ciel intérieur. Autrement dit, peu d'êtres humains prennent conscience de l'exigence de la maison 9, ce qui se traduit dans les maisons suivantes, par le fait que le rôle absorbe une bonne partie de l'individu, qui ne découvre pas son potentiel de créativité holistique, de participation éclairée à la transformation collective. Les pouvoirs révèleront leur caractère essentiel, qui tombe d'en haut, comme des propriétés naturelles de l'Esprit, maintenant qu'ils ont été désembourbés, déracinés, puis replantés dans le soleil.

Le présent est souverain. Il permet le jeu des pouvoirs planétaires qu'ils suscite tour à tour, il nous soumet des instants de toute substance, qui nous émerveillent ou nous indignent, nous soulèvent ou nous écrasent, nous rassurent ou nous effraient, nous donnent la force d'œuvrer ou nous la volent: la manifestation est multiple, nos adversaires sont puissants et nos alliés discrets. Jusqu'à présent, elle s'équilibre, le négatif constitue le pendant du positif, l'homogène cherche à s'emparer de l'hétérogène, en résorbant ses vélléités, l'hétérogène cherche au contraire à se différencier de l'homogène, à s'en séparer par des mouvements puissants. Pourtant, tout se tient dans le temps unique, seules des transformations ont lieu, du multiple vers l'un, de l'un vers le nombre. L'être immuable demeure identique à lui-même, chaque élément possède sa propre intelligence, rapide et franche pour le feu, volatile pour l'air, structurante et lente pour la terre, fusionnelle pour l'eau, et l'un de premiers travaux est de comprendre que l'esprit éclairé détruit et dissout des représentations et des attachements, avant de bâtir de nouveaux projets. Mais nous sommes lancés en avant, et l'intelligence générique semble obsédée par toute construction, qu'elle vénère, et hostile au démantèlement, qui oblige à faire le deuil d'illusions qui sont chères. Aussi, l'esprit crée-t-il de nouvelles architectures sur les mêmes bases que celles qu'il abandonne, en variant seulement les formes. Pour faire changer les principes, il faut remonter jusqu'à leur origine les valeurs défectueuses, les dissoudre, et reconstruire sur des bases entièrement nouvelles. Même les philosophes ne vont pas jusque-là, ils subissent la poussée du mental, substituent des idées et des valeurs à d'autres, remontent jusqu'aux premières branches, mais ne gagnent pas le tronc ni les racines, qui rendraient compte de l'inefficacité des systèmes de valeur, politiques ou religieux. Ils s'arrêtent en chemin, en s'imaginant que le mental veut découvrir la vérité, ce qui est faux. Le mental est forcément l'instrument d'autre chose, soit de la nature, soit de la Conscience suprême, soit d'un mélange entre les deux, mais son autonomie est factice. Voilà pourquoi Mercure, sans le soleil d'un côté et Vénus de l'autre, sans les défis des planètes sombres et rigoureuses qui maintiennent le soi individuel dans des structures génériques, depuis Mars jusqu'à Saturne compris, reste une capacité naturelle, automatique, réflexe dans les compulsions, et légèrement aléatoire dans son jeu intime, grâce à la rivalité des pouvoirs planétaires. Le mental est surestimé dans toutes les civilisations, et presque méprisé dans les sociétés primitives, ce qui nous rappelle un point sur lequel j'insiste toujours, sa plasticité infinie. N'importe quoi peut se penser et se fonder sur une légitimité quelconque, quand le mental n'est pas considéré comme l'épée de Dieu pour transformer la Manifestation. Et il a ce pouvoir particulier de développer des paradigmes étroits, et de leur faire gagner une étendue considérable, avec quelques artifices sophistiques, comme le péché dans le judéo-christianisme, nécessaire à la fonction de messie, ou la «réincarnation» dans l'hindouïsme, parfois dans le bouddhisme, qui, dès le départ assujetissent toute l'intelligence à une orientation virtuelle et réductrice, hors de son cadre réel, — l'immédiateté du sujet dans son milieu, le présent. Aussi est-il nécessaire d'être prudent sur la signification des nœuds lunaires, qui tout au plus, colorent notre démarche, en la ramenant dans un axe si elle s'égare, mais qui ne peuvent pas parler longtemps sans absorber à l'intérieur d'eux le reste du thème, au détriment d'une pure connaissance. (Voir séminaire). En revanche, l'intelligence de l'élément où est situé le nœud nord doit subir une évaluation, une vérification de son intégration. L'intelligence du feu se projette toujours avec le besoin de changer les choses pour le profit du moi dans son milieu, en valorisant le sujet, par des décisions; celle de l'air pour saisir, abstraitement et parfois passivement, les relations opportunes entre le moi et son territoire, au sens large, celle de la terre se projette pour obtenir des résultats par des actes, en tenant compte des contraintes extérieures, prête à des sacrifices individuels pour obtenir une meilleure place, celle de l'eau permet avant tout de ressentir le non-moi, de l'introjecter, et elle cherche des modes intuitifs de relation avec lui, des aménagements d'espace ludique ou fusionnel.

Mercure distingue les choses pour mieux les embrasser, puis nous souffrons des amalgames issus des identifications. Nous confondons dans l'espoir de réunir, puis cela se renverse, et l'amalgame nous ramène à la différenciation, à la rigueur, au tri et à l'ordre... Mais nous reconnaissons l'Un où tout se tient, oui, il finira par se révéler! Nous souhaitons tout embrasser d'un seul tenant... Et c'est la plus haute vérité, celle qui réconcilie la faille originelle de la naissance, séparant du tout.............l'Amour de Dante, le Tao de Lao-Tseu, le vivekâ de Sankara ou de Nagarjuna, le non-né de Bouddha, l'Incréé des kabbalistes, le Divin, révélé par Sri Aurobindo et Mère, et annoncé par Krisna... L'absolu nous attend.

Les univers stables, cachés derrière l'efflorescence de la vitesse jetée dans la matière, nous attendent, ils s'emboîtent jusqu'au supramental, immobile dans le mouvement le plus rapide, soit le secret absolu de l'univers, le pouvoir de la Mère des Mondes, qui bâtit autant l'atome que la galaxie, et dont la vitesse-lumière est l'émanation favorite, le tissu de l'espace-temps.

Fermer les yeux sur une réalité, quelle qu'elle soit, c'est mutiler le corps de Dieu, qui, pour le moment, survit en dépit de l'incurie humaine, et se prépare à une métamorphose. Alors, pendant longtemps, l'esprit générique a décrété que ce n'était pas la peine de s'intéresser aux illusions, et l'on a rempli un immense réservoir d'illusions, qu'il fallait éviter ou vaincre. Au bout de trois mille ans, le mal était fait, la vie était devenue une illusion en Inde, et l'on édictait que les âmes parfaites avaient déserté la terre, et qu'il fallait se méfier des sens. En occident, le royaume de Dieu était convoité post mortem pour une âme personnelle qu'on confondait avec sa propre personnalité actuelle, et Saturne écrasait tout sur son passage, diabolisait les femmes, utilisait la cruauté comme arme de la vérité. Les chinois n'étaient certes pas tombés dans le panneau de l'idolâtrie pour s'acheter une vie à crédit dans l'au-delà, mais le besoin d'épouser le Tao, en revanche, ne courait plus les rues. Ce fut cela notre histoire, soit un pari sur la vie, soit un pari sur Dieu, logé hors l'existence, jamais sur les deux simultanément, sauf pour un très petit nombre. En finir avec cette réduction des possibles, voilà le mouvement qui s'est produit mystérieusement au vingtième siècle, avec le retour des Veda, l'accès au supramental, qui change la donne de la destinée humaine, à une époque où le mental de l'espèce subit des métamorphoses qui, d'une part, lui révèlent ses propres limites, puisque toute nouvelle saisie en appelle de plus complexes qui s'ajournent, et, d'autre part, le renforcent dans sa volonté de tout expliquer, ce qu'il confond avec le besoin de comprendre.

La science le rabâche, la réalité est insécable, et la biologie l'avoue: on ne peut pas délimiter un point, le point, où la vie commence. Elle est involuée dans de nombreuses étapes particulières, et le moment où elle apparaît «définitivement», avec tous ses caractères propres, est difficile à cerner, ce qui nous ramène à la question déjà posée: même les ruptures de seuil, les bonds, les qualités émergentes s'inscrivent dans une continuité parfaite par rapport aux structures qu'elles dépassent, transforment, transgressent. Le continu régulier, avec sa forme d'onde aplatie, et le discontinu, en dents de scie acérées et irrégulières, tracent des schémas aux lignes différentes, et tout cela se module dans le même alignement en définitive, et peut-être même que la mort n'est qu'une transition de phase, et elle est accueillie sans résistance pour celui dont l'atman s'est manifesté, rejoignant le Brahman.



13/L'évolution dans la Matière

Le défi de percevoir l'entropie et la néguentropie dans une concordance n'est pas insurmontable. La conscience supramentale révèle d'ailleurs spontanément que toute critique du monde humain est vaine, partis d'où nous sommes partis, c'est-à-dire du bas, d'un acide aminé qui tombe amoureux du ciel et du soleil. Il n'y a pas lieu de s'étonner de la guerre et de la cruauté, il nous reste à transformer l'humain pour se débarrasser des survivances dynamiques (voir les principes de la Manifestation), les ultimes conséquences qui survivent de notre origine physique, puisque l'évolution est codée dans notre cerveau reptilien. Dans l'absolu, les boucles finissent en spirales, la durée engendre de nouveaux possibles au sein des structures qui semblent les plus immuables. L'homogène crée de l'hétérogène en se saturant lui-même, un jour ou l'autre, et l'hétérogène s'accumule jusqu'à se réguler lui-même, et redevenir ainsi de l'homogène. Le passage du temps nivelle d'un côté, crée de l'autre. L'unité combine les antagonismes, les contraires s'épaulent (Cfrs Stéphane Lupasco). Le yi king ésotérique dit la même chose pour découvrir les formes archétypiques des situations: le ferme retourne au souple en passant par le rigide, le malléable retourne au ferme en passant par le mou.

Toute réalité, aussi infime soit-elle, peut devenir un indice dans une réflexion, un signe de piste vers la ramification exhaustive. En devinant les réseaux d'organisation des forces, nous apercevons dans le système solaire et la position terrestre, la matière qui monte vers l'Esprit, soit le grand dessein par excellence, celui de la manifestation de la Conscience suprême. Comme le rappelle Vivekananda: «D'après la philosophie védantique, l'homme est par conséquent le plus grand des êtres qui sont dans l'univers et ce monde de travail est le meilleur endroit de tout l'univers, parce que c'est là seulement que l'homme trouve la meilleure et la plus grande occasion de devenir parfait. Anges ou dieux, de quelque nom que vous les appeliez, doivent tous devenir des hommes s'ils veulent devenir parfaits. La vie humaine est le grand centre, l'équilibre admirable, l'occasion merveilleuse».

Ce ne serait donc qu'en fonction de présupposés subjectifs que certains objets pourraient être escamotés de notre étude, parce que nous n'accorderions à l'intelligence que les propriétés séparatives de notre propre ego, pour avaler l'étendue et la durée selon nos minuscules prérogatives, en les encadrant de nos visions arbitraires. Si nous abandonnons l'idée (de vouloir) soumettre le mental, c'est-à-dire si nous abandonnons toutes nos ambitions, qu'elles soient circulaires et transcendantales ou carrées et contingentes, le pouvoir de vision peut apparaître, attentif à l'instant le plus banal, concentré sans effort, et l'immense champ du Réel se manifeste enfin comme une vastitude à laquelle se donner, puisqu'elle se perd dans deux directions qui nous dépassent, l'étendue unique qui contient tous les espaces et absorbe toutes les frontières, et la durée qui s'étale vers l'immémorial, avec d'un côté le passé dont nous croyons à tort dépendre (mais qui survit dans les mécanismes vitaux et psychologiques), et de l'autre, le futur, que nous parons de qualités impossibles pour racheter ce qui nous manque, en renchérissant. Reconnaître ce champ double, en faire son souverain, accepter l'illimité au risque provisoire de manquer d'itinéraire, c'est évoluer, c'est renoncer à s'approprier les choses dans le fil convenu de tous les héritages, soucieux d'encenser de superstitieuses mémoires, et d'acheter au plus bas prix les faveurs de l'avenir. C'est laisser passer la flèche du temps tout en la retenant également, par un regard qui ne prend rien, et qui renonce à lui attribuer ce qu'il connaît déjà.

Pour le supramental, ce que nous nommons illusions est une réalité à part entière, trompeuse peut-être, cette Maya qu'il faut transformer, puisqu'elle cache l'atman et le Brahman, par le sâmsâra. Aucune distinction ontologique ne sépare les objets pour l'intelligence unifiée, ils se reposent dans l'étendue, et n'ont pas besoin du sens qu'on leur prête, ils se rassemblent tous dans leur imprescriptible présence au monde, ce qui exige que nous recevions de nouvelles capacités de l'intelligence cosmique, pour saisir le réel par quanta, d'immenses blocs d'informations homogènes, participant de la vision embrassant de vastes espaces (et non du raisonnement qui rapièce), de la même manière qu'on éprouve une sensation esthétique devant un tableau dont on peut ignorer l'auteur, et sans qu'on reconstruise, par l'analyse, les éléments de la scène peinte. Les visions d'ensemble, qui ont tant interpellé les philosophes allemands, sans succès d'ailleurs, participent d'une intelligence ramifiée, que seule la voie spirituelle révèle, mettant ainsi «le secret de Dieu» à l'abri des corrupteurs. (Cfrs Eveil et philosophie). Aussi, appartenir à l'univers, et le ressentir dans toutes ses fibres, ouvre les canaux des sensations subtiles qui ramènent à l'Originel, soit par la vision et la conscience, soit par la captation vibratoire et l'énergie. Notre intelligence abandonnera les filets des catégories à pêcher le réel, trop nombreux, aux mailles trop amples ou trop petites, ou trop moyennes, elle n'en aura plus besoin. Il n'existera plus de détails au sens propre du terme, puisque, dès que l'on fait intervenir le temps et l'étendue, c'est-à-dire dès que nos spéculations sortent de leur cadre pour devenir concrètes et opératives par l'observation, on admet qu'un «petit» facteur, pour le mental qui fige les objets, peut en réalité être un facteur décisif, primordial, dans le contexte de l'histoire du territoire, où répétons-le, rien n'est isolé. (D'où l'immense avantage de l'astrologie comme psychologie exhaustive, puisque toutes les tendances y sont représentées avec les modèles des proportions qui peuvent les caractériser concrètement chez chacun, avec les aspects).

C'est ainsi qu'on ne méditera jamais assez les implications de l'effet papillon, une véritable percée de la Raison pour en finir avec les prétentions du mental cartésien à prévoir la météo longtemps à l'avance. De même, le philosophe de l'astrologie passe sans arrêt de la carte au territoire, des éphémérides aux pouvoirs psychologiques, et ne s'avance jamais en-dehors du contexte réel, l'état actuel du consultant, et applique la théorie de l'effet papillon. Il admet qu'un petit événement puisse renverser la politique du thème, et faire basculer le sujet dans les turbulences d'états d'âme exaltés ou catastrophiques, qui appellent une nouvelle ligne d'absorption du réel et d'identification à soi-même. Il se méfie de tendre l'avenir à qui n'a pas retrouvé le levier du présent, et recadre sans arrêt Mercure, avide de tirer des solutions pratiques et concrètes d'un discours en profondeur, où le sens doit apparaître de l'intérieur, et non pas par l'obtention de tactiques événementielles. Même l'interprétation des transits doit se teinter d'incertitude, et mettre en jeu la conscience du sujet sur ce qu'ils représentent pour lui, à la phase de son évolution présente. Se tendre vers l'avenir pour mieux vivre le présent, constitue cette erreur de stratégie du mental de l'espèce, qui se précipite sous le joug de la nature, et l'on en revient donc toujours à la question essentielle: pour quelle raison voulons-nous établir les formes de l'avenir?

Nous manque-t-il quelque chose, craignons-nous des pertes, pourquoi voulons-nous sauter à pieds joints ce que nous avons à vivre pour nous situer dans un espace imaginaire? L'univers psychologique est soumis aux mêmes fluctuations que le climat, et si un battement d'ailes de papillons détermine plus tard et plus loin un événement majeur, un détail de notre existence qui nous échappe peut engendrer des conséquences imprévues. Le concret est tranchant, le solide fait mal. Non seulement l'univers des particules est traversé de possibilités innombrables au même moment, mais les variables d'un système complexe rebondissent trop les unes sur les autres, à chaque moment, pour qu'on puisse déterminer longtemps à l'avance les itinéraires qui seront pris. Notre condition n'obéit-elle pas, elle aussi, à ce modèle, la vulnérabilité (à ce qui ne dépend pas de nous)?

Au-delà d'une certaine limite, le mesurable devient un pur fantasme, puisque l'immédiateté soumet le réel, par la flèche du temps, à de trop nombreuses altérations et modifications pour qu'il reste prévisible, à travers des figures symboliques innombrables, comme le choc transversal, qui frappe l'itinéraire et le dévie, le tourbillon ou vortex qui répartit aléatoirement des énergies accumulées en sabotant l'orientation d'origine, ou encore l'implosion, par saturation centripète du même, ou l'explosion par saturation centrifuge du même, qui mettent un terme à toutes formes de processus sclérosés.

La vie est perméable, les échanges régissent tout, nous sommes absolument poreux, et plus nous croyons nous protéger de l'extérieur en bâtissant des frontières, en décrétant le bien et le mal, plus notre propre système de pensée se ferme et se laisse emporter par la sclérose cristallisante, dont le modèle le plus répandu est saturnien, avec une réduction de l'absorption du non-moi. Mais il existe d'autres modèles de limitation du champ, qui suivent les prérogatives des autres pouvoirs, l'inflation solaire infériorise le champ du non-moi tout en continuant de le reconnaître, l'inflation jupitérienne en évacue tout ce qui n'est pas instrumentalisable, l'inflation vénusienne limite le champ à l'idéal et aux sentiments, l'inflation lunaire absorbe le champ dans la seule immédiateté (a priori) gratifiante. La porosité de la matière est telle, et la vitesse des informations si rapide, qu'il demeure vain de vouloir protéger quelque cercle que ce soit (le caractère, le moi, la famille, le territoire, le milieu social, l'histoire) des impacts extérieurs, qu'ils constituent des menaces potentielles ou des sources d'inspiration aléatoires, susceptibles de renouveler, après le chaos nécessaire, le statut du cercle en question. Refuser la vulnérabilité du sujet mène à un monde saturnien, prive d'expériences et de confrontation, ou enferme dans un kyste d'énergie planétaire donné. Selon la confiance que l'on accorde soi-même à la vie, le coefficient de risques peut varier dans le rapport d'ouverture avec le non-moi, et, selon la confiance qu'on accorde au Divin, le prix des sacrifices est plus ou moins consenti, puis accepté. L'excès de différenciation, qui ferme, n'est pas meilleur que l'excès d'identification, qui ouvre. La voie peut consister à renouveler sans cesse l'absorption du non-moi par le moi, et le don du moi au Tout.

Si nous prenons au pied de la lettre le paradigme que représente l'effet papillon en météorologie, nous ne pouvons être sûrs de rien au-delà de trois ou quatre jours, dans le monde des formes, la quantité de durée nécessaire pour que l'effet des fluctuations permanentes se dissolve dans des modèles ou des schémas devenus purement aléatoires, des variations que l'on peut peut-être théoriser, dont on peut dresser l'inventaire sans doute, mais qu'en aucun cas on ne peut deviner avant qu'elles ne se produisent. Mais dans le monde des principes, la prévision ne se pose pas, puisque nous savons que notre septenaire intérieur reste de toute façon à transformer sans cesse, et indépendamment de l'aval des faits. C'est cette vision-là qui peut procurer la distance nécessaire pour mener sa voie en toutes circonstances, en absorbant tous les obstacles, tout en sachant que les moments privilégiés, eux aussi, s'érodent. Une fois encore, la vision est simple et nette, des probabilités multiples guettent le territoire de leur actualisation, et tant de facteurs entrent en jeu que les premiers effets engendrent des combinaisons imprévisibles, les trajectoires se croisent et les acteurs s'entrechoquent, créant de nouveaux blocs d'informations qui interagissent, se rencontrent et se dispersent, traçant sans cesse des parcours aux directions imprévues.

Si ce modèle est pertinent en météo, avec la question des vents, de la température, de l'évaporation, de la morphologie de l'espace, il le demeure dans les domaines où d'autres facteurs tiendront le même rôle. Dès que quelques variables apparaissent, ils se mélangent et ne peuvent avoir d'autre résultante que celle du moment donné, qui établit un rapport provisoire. Un peu plus tard, par la loi du mouvement, par l'autonomie relative de tout élément dans un système, la forme d'ensemble aura changé. Héraclite avait déjà perçu la souveraineté de l'immédiat, et sa vision est aujourd'hui confirmée par la mécanique quantique d'un côté, et le renouvellement permanent de l'Histoire, qui ne correspond pas aux dogmes «définitivement» établis, ceux qui veulent plier l'avenir dans leurs institutions, religieuses, politiques, économiques. Une lecture des vulgarisations de la physique contemporaine, depuis Planck et Heisenberg, un survol de la théorie du système général, qui aborde les contraintes internes de n'importe quel groupe d'éléments réunis en une seule convergence opérative, un intérêt intuitif pour les arts divinatoires, qui classent les probabilités événementielles comme autant de miroirs pour le moi, sont des nourritures suffisantes pour assouplir définitivement le mental, et permettre à Mercure de s'étendre au-delà de sa maison et de son signe, au-delà de son élément, en imprégnant tout le circuit planétaire d'intelligence vive. Il apprendra à renoncer à ses rêves de capture du réel, écrasé entre le triomphalisme solaire et la culpabilité saturnienne, et recherchera plutôt la mesure exacte de la relation actuelle, entre le moi et le non-moi, que la piste d'un ultérieur positif, logé hors du concret. Faire qu'il reconnaisse, telle quelle, toute situation, en dépit de ses attentes et de ses craintes, est la seule méthode d'orientation vers le futur.

Même s'il faut peiner quelque peu pour intégrer dans sa pratique l'incertitude quantique, ou l'indécidabilité, cela ouvre de nombreux horizons, et confère à l'immédiat un pouvoir beaucoup plus grand que celui que lui octroie le mental ordinaire, avide de projeter des structures préexistantes sur les faits pour leur conférer un sens indépendant de leur nature, afin de les récupérer en vase clos, dans une conformité arbitraire. Un Mercure «libéré» perçoit dans le moment d'énormes quantités d'informations transformatrices, alors que dans son mode générique, il ne sert de projecteur qu'à un agent ou à une combinaison de pouvoirs planétaires aux angles fermés. Nous manquons des informations transformatrices, des signes de piste, dès que notre regard s'endort sous prétexte qu'il vit une situation connue, ou que rien ne se passe. L'éveil, c'est en partie être constamment conscient de son regard et de son écoute, dans n'importe quel contexte. C'est même le moyen le plus simple pour atteindre le Soi. Être toujours là, jusqu'à ce que le regard devienne si pur que plus aucun jugement ne se forme sur ce qui arrive. Trouver un levier dans le présent permet de se libérer de la fascination de tous les avenirs meilleurs et des craintes de tous les futurs manqués, cela égalise la tension entre mars, qui se précipite, et saturne, qui retient, ce que Freud a approché empiriquement, avec le ça et le surmoi, sans pour autant donner son véritable statut au moi, ce que Jung a tenté, dès qu'il s'est rendu compte que l'Antiquité et l'Orient s'étaient intéressés à la question. L'astrologie constitue, pour ceux qui ressentent la flèche du temps comme l'arme de l'Éternel pour se manifester, une science du présent le plus pur, dans lequel les pouvoirs planétaires convergent et s'harmonisent pour libérer le soi, soulever le soleil intérieur et le rendre perméable aux radiations de la lumière spirituelle.

C'est une science dans la mesure où les grandes catégories du réel, comme l'ordre, l'autorité, le chaos s'organisent en des représentations opératives, l'autorité tendant vers la permanence, l'immédiateté vers le chaos, et l'ordre vers un aménagement constant de leur relation, par le renouvellement des formes.

Cette dialectique ne cesse d'ouvrir des horizons pour comprendre le réel le plus pur, l'ajustement permanent d'un moi qui cherche une perfection stable à un environnement instable et mouvant, dont le rôle est de remettre en question les structures cristallisées du moi, puisque jamais ni le champ ni le temps n'entreront dans les prérogatives fermées d'un individu, quel que soit son pouvoir. Saturne ne pourra jamais retenir dans sa glace les vapeurs de l'émotion lunaire, pas plus que Mars, ivre de l'instant en Bélier, et symbole de l'ascendant, ne peut empêcher Vénus de voir, au-delà du moment présent, ce qui lui est virtuellement supérieur.

APPROCHE TECHNIQUE 11 SE TRANSFORMER SUR TOUS LES FRONTS.

L'avenir, de toute façon, n'est qu'une forme du présent qui ne s'est pas encore manifestée, et c'est donc prendre un raccourci merveilleux de ne se consacrer qu'à l'éternel présent, en se moquant de la forme, quelle qu'elle soit, que prendra notre avenir. Une partie du travail intérieur consiste donc à débouter vénus de ses attentes, saturne de ses instrumentalisations craintives de la durée vers la sécurité, mars de son impatience générique, et de son goût incoercible à s'approprier l'objet gratifiant, et jupiter de sa demande d'approbation sociale et de prospérité exponentielle. Le signe ascendant détermine une prédilection particulière pour ressentir le moment, qui doit être en accord avec sa planète maîtresse, dont les aspects sont donc particulièrement critiques. Parvenir à ce que les événements se produisent parfois avec une marge de manœuvre peu gratifiante, sans que cela soit considéré comme une offense, une humiliation, ou même une incapacité personnelle, montre que le sujet veut découvrir l'unité de sa personnalité, et accepte les tensions infligées par la matérialisation de l'horoscope. Il pourra abandonner des tactiques à court terme en se moquant de leurs réussite, et choisir des stratégies à long terme, informelles, dans lesquelles la maîtrise du territoire joue un rôle secondaire, au bénéfice d'une meilleure assise intérieure, celle qui s'acharne moins à améliorer le quotidien matériel, pour mieux dégager des espaces de réflexion et de créativité. Cette démarche finit par faire prévaloir le soleil sur saturne, tout en entraînant Mercure du côté de l'intelligence transcendantale. Le monde intérieur sera devenu plus important que l'autre, qui nous soumet à des identifications produites par les circonstances. Ce mouvement s'accompagne naturellement d'une investigation de la fonction solaire, soit une métamorphose permanente de l'image de soi, fondée sur l'aspiration, les progrès psychologiques, les intuitions sur ce qui reste à transformer, au cours de petits bilans désinvoltes et légers. Mercure gagne l'honnêteté intellectuelle, au lieu de préserver les faiblesses du moi dans chacun de ses compartiments par toutes sortes de dédouanements, de boucs émissaires et de justifications conservatrices.



14/Utiliser les résistances

Un esprit ne peut pas être ouvert et fermé, et, s'il est ouvert, il l'est forcément à tout pour tendre vers l'unité inscrite en potentiel dans le thème radical. Il crée des réseaux entre des domaines, des disciplines, des approches, se faufile au milieu des contradictions, et transcende les formes pour parvenir aux principes. C'est l'esprit de la philosophie pérenne, qui évite les angles morts et tourne en spirale, trouve des positions nouvelles par rapport à la réalité exhaustive, étant entendu qu'elle ne peut être embrassée dans son ensemble, mais que son étude peut inspirer des directions (provisoires), des satisfactions (éphémères), des représentations paradoxales (incluant de fausses contradictions) qui évacuent les scories des réactions, des préjugés, des modes, des imitations, des différents types de conditionnements, tout en élargissant considérablement le champ de ce qui peut être investi. Si nous nous fermons à une information, ce n'est jamais innocent, et qu'on veuille faire la sourde oreille dans un secteur particulier indique un point faible dans le thème natal, une résistance qui peut naître d'un aspect entre deux signifiants, ou d'une mémoire mauvaise en ce lieu, qui empêche l'esprit de vouloir s'y rendre à nouveau. Nous avons à notre disposition des mécanismes de fuite parfaitement mis au point par l'évolution, car la fuite est un moyen privilégié de survie. Ne pas vouloir entendre, c'est enfermer le réel. Il est pourtant nécessaire d'explorer les blessures ou les dénis de principe de certaines réalités, si nous voulons nous-mêmes représenter le Tout. La perte soudaine des objets privilégiés des pouvoirs planétaires entraîne souvent par la suite un évitement de principe de ce type d'objet. C'est assez catastrophique de ne pas retourner voir, ce qui pourrait guérir, mais les tendances psychologiques verrouillent les identifications dans les secteurs où elles ont engendré de profondes souffrances. Des personnes peuvent renoncer à être, alors qu'elles en ont le potentiel, à force de blessures narcissiques, d'autres refusent l'amour après l'échec dans l'amour humain, et manquent ainsi l'amour sans objet, inconditionnel, ou bien n'osent plus le chercher sans une profonde suspicion, enfin, dans la plupart des cas, la fonction mercurienne refuse de servir l'individu et se contente d'être le porte-voix des pouvoirs du côté de la galaxie. Trop de souffrance peut empêcher l'essor de la subjectivité vers l'individu potentiel, ou au contraire, le réveiller, et les mémoires se libèrent alors dans des explosions émotionnelles.

Cette idée d'une intelligence pure, qui échappe d'une part à la fascination de créer ses propres objets, qui renonce donc à érotiser son action, et qui d'autre part accueille toute information comme objet digne d'intérêt, n'est pas nouvelle. Certains grecs, fatigués de la prétention de ceux qui figent les ordres de la réalité dans leur discours polémique, s'en étaient approchés, et comme ils trouvaient absurde de «décréter», ils s'éloignaient des figures qui seront considérées plus tard comme les plus grandes, pour avoir soumis le réel à leurs considérations. Cela ouvre le débat qui divise les spécialistes, Socrate n'est-il pas, en fait, un des derniers philosophes, alors que ceux qui viendraient à sa suite créeraient le mythe d'une réalité perceptible par le mental, tandis qu'il avait enfin établi (en reconnaissant d'ailleurs Héraclite) que le savoir n'est qu'une apparence? L'histoire encense plutôt les auteurs superficiels, les vrais découvreurs demeurent hermétiques, et, surtout, ils laissent entendre que la pensée ne saisit pas le réel. Ils affament donc les intellectuels, et se rangent du côté des mystiques, ils transgressent et on les oublie. L'intelligence libre caractérise le jnana-yoga et nous la retrouvons dans le concept de mentat, forgé par Dane Rudhyar, et dans certains termes anciens, d'origine diverse, qui stipulent que l'action véritable découle de la connaissance, ou bien qu'elle n'est rien d'autre qu'une manifestation de la nature, c'est-à-dire un prolongement de forces entremêlées, qui nous noient dans la masse des habitudes et des automatismes.

L'action issue de la connaissance ne conserve rien des systèmes de pensée en cours, institutionnels, mais elle évite de les combattre pour ne pas être menacée, tandis qu'elle fonde une tradition secrète pour mettre en place les moyens d'une initiation, les fournir et les développer. Nous trouvons au sein d'enseignements traditionnels (Cfrs René Guénon), sur tous les continents, le concept fondateur d'une intelligence non appropriable par le sujet, qui peut supporter différents noms, Buddhi, Intellect pur, et il s'agit alors de caractériser le processus de vision immédiate (des principes) qui ne s'obtient qu'une fois la rapidité de la pensée épuisée. On ne peut donc que se méfier de la tendance moderne qui vénère l'efficacité et la rapidité, s'attache aux objets du mental, au nom du rendement, et que l'on retrouve dans certaines approches astrologiques aussi naïves que prétentieuses, ou encore dans des thérapies qui n'embrassent pas la totalité de l'âme humaine, et ne permettent que de petites renaissances, contingentes seulement, avec une meilleure adaptation au territoire, sans mentionner la souveraineté du Divin. Il n'y a plus besoin, aujourd'hui, de cadre pour exercer la consécration, car nous disposons de tous les moyens de communication suffisants pour que l'initiation puisse s'effectuer d'elle-même, par le moi et pour le moi, sans s'inféoder à un maître vivant, dans la seule confiance accordée à l'absolu, ou en faisant sienne cette formule de la Guîtâ: Prends refuge en moi seul. C'est plus facile aujourd'hui de remonter à rebours la pensée, en combinant l'aspiration solaire et l'observation exhaustive, soit celle du territoire et de ses objets, accompagnée de celle de la durée, mise à jour des conditionnements, libération des mémoires, et lâcher prise sur la forme de l'avenir. Mercure contracte avec chaque pouvoir planétaire une relation privilégiée, et il bénéficie de l'essence de chacune. Il reconnaît en mars l'engagement, en vénus la virtualisation du meilleur, en jupiter l'amour du champ, en saturne la rigueur, en soleil la volonté pure, sans ambition, en lune l'appréciation sensible. Il s'enrichit d'elles tout en les purifiant, ramène le moi au non-moi, et réciproquement, sans heurts, sans crainte, sans faire prévaloir un pôle sur l'autre, sauf dans les circonstances particulières et provisoires qui peuvent l'exiger.

Aujourd'hui, toutes les sciences concordent, les messages divins sont recueillis dans des livres en vente, des voyants reçoivent des sortes d'instructions d'âmes développées, quelques maîtres vivants encouragent la libération individuelle autonome, des savants rejoignent la mystique, la psychologie bondit en avant sur les traces mentales de la génétique et des ondes de forme familiales avec la psycho généalogie, des inconnus passionnés par les mêmes topics se rencontrent instantanément d'un bout du monde à l'autre par le web, tout est en ébullition ici-bas, tandis que les glaciers fondent trop vite. La Terre participe d'une remise en question fondamentale des valeurs, avec une ouverture considérable vers la conscience unitaire, dans un sursaut de survie. Dans un tel climat, les indices foisonnent, l'éther soutient, les principes de ramification exhaustive peuvent transparaître plus facilement, pour qui est déterminé à trouver l'Unité derrière ses masques, le Soleil divin derrière les conflits des pouvoirs planétaires. Si cette loi de l'ouverture sans angles morts n'est pas respectée, le philosophe ou le chercheur s'enferme dans sa propre vision des choses, au lieu d'évoluer constamment à la vitesse de l'histoire, et il se plaint de l'efflorescence de la décadence, faute de savoir déceler dans chaque nouvelle journée des indices de la manifestation divine, qui agit en tout premier lieu vers l'intérieur de l'être, et non dans son cadre relationnel ou social.



15/Un renversement de perspective

Rien ne nous appartient.
Quelle distance entre la sympathie et le mépris?
Le bien et le mal s'écartent-ils l'un de l'autre?
Lao-Tseu

D'un point de vue supramental, l'univers entretient des intentions au cœur de l'humanité, et nous pouvons les déchiffrer par la sadhana ou par les principes de l'astrologie. Soit nous sommes poussés vers la mort, soit nous sommes poussés vers la mort et l'accroissement de la conscience simultanément, ce qui nous permet d'établir, mais nous le savons depuis toujours, que la nature et la conscience ne sont pas la même chose, en dépit du fait qu'elles se mélangent en une seule résultante, celle de l'incarnation. Si seule la mort nous attend, la nature est suffisante. Si nous profitons du passage de la flèche du temps pour devenir l'être, rattraper, en utilisant la durée elle-même, ce qui lui échappe, notre conscience évolue. Ou bien, comme Lao-Tseu, nous considérons que nous remontons le temps jusqu'à son origine indifférenciée, le Tao, avant même le yin et le yang, et les dix mille êtres, soit la création terrestre. Ce chemin semble être celui du retour, quand il se figure dans la durée. Mais comme il aboutit à ce qui existe en dehors du temps et de l'espace, comme le Soi, et plus loin encore le supramental, ce chemin du retour est aussi tout simplement celui de la sortie définitive de la dualité nature/conscience, ou vie/mort, ou encore immédiat/permanent, qui commence, naturellement, par le dépassement de la dualité bien/mal, qui maintient le mental dans ses ornières de jugement (Cfrs Swami Vivekananda, jnana-yoga, Albin Michel). L'éveillé sent en lui une parcelle de conscience immortelle, imprescriptible, et cela ne lui donne même pas envie de se l'attribuer (ce qui agace tous les chercheurs d'absolu qui convoitent la chose, et exigent une définition du Soi pour mieux le viser).

C'est la vision transcendantale, l'unique, celle qui oppose à l'irréversible flèche du temps qui nous jette dans la gueule de Kala, la découverte de l'intemporel, vide, puis de l'éternel, conscient. Ces mondes sont cachés par la vitesse du déroulement gravitationnel, ces étendues magiques nous attendent, là où la conscience se sent vraiment chez elle: elle n'est plus soumise à la pensée, au désir, à la crainte. Nous voyons le même principe en astrologie, une partie des pouvoirs planétaires plonge dans la nature matérielle, celle qui est soumise aux cycles, une autre, transcendante, est pure essence, telle une conscience souveraine. Les astronomes nous permettent aujourd'hui de faire intervenir dans la ronde cosmique les astéroïdes, avec le risque de leur conférer une signification astrologique hasardeuse, mais pour les signifiants les plus connus, nous n'avons aucun doute, mercure comprend, vénus aime, mars désire et agit, lune ressent et craint, jupiter embrasse le champ et l'honore, saturne juge et établit, soleil est, et avant d'être, il se cherche lui-même en voulant, c'est-à-dire en se dressant contre l'ordre événementiel. Revoyons le principe à sa base, dans sa simplicité gravissime. Le fait est là: tout ce qui nous concerne constitue une projection de la loi de gravitation dans le monde biologique. Les saisons (le rythme de la Terre) épousent un modèle fractal, celui de la rotation en gigogne. La terre tourne sur elle-même en vingt-quatre heures, elle tourne aussi autour du soleil, avec les planètes qui l'accompagnent, tandis que la lune tourne autour d'elle, et que le soleil, lui aussi, se déplace. La rotation est donc une forme essentielle du mouvement, la boucle, ce qui ouvre une réflexion infinie sur le cercle et la sphère d'une part, et sur la notion de retour, d'autre part (le fu taoïste).

L'astrologie en vigueur dans les principales civilisations pose une question, et débouche sur un aveu poignant. Si, partout, l'on cherche à anticiper, c'est que l'on admet que l'avenir ne se plie pas à nos prérogatives, ni à celles des institutions, ni à celles des individus, fussent-ils des empereurs. Et il n'y a d'ailleurs qu'à l'époque où l'Europe croyait tout maîtriser par l'essor de la science et de la technique que l'astrologie s'est vue discréditée. Dans toutes les autres cultures raffinées, beaucoup plus humbles, l'idée que l'avenir obéissait à d'autres règles que celles édictées par les hommes a prévalu. La plupart des grands esprits, avant le siècle des Lumières, se sont intéressés à l'astrologie, comme Kepler, Newton et Einstein d'ailleurs. Bien sûr, il nous manque encore une explication quantique qui nous permettrait de comprendre l'action à distance instantanée, qui est une réalité révoltante pour les sens, mais que les savants reconnaissent aujourd'hui. La «distance» ne serait qu'une sorte de trompe l'œil dans un espace-temps dont la vitesse de la lumière serait en quelque sorte le tissu, et, dans cette mesure, il n'est même plus audacieux d'entrevoir des interactions simultanées sur certains plans, et différés dans d'autres, à travers des systèmes de relais qui nous échappent encore. Des événements contemporains «quelque part» peuvent se passer dans des séquences temporelles différentes «autre part», mais, naturellement, ce genre de considérations échappe totalement aux capacités de l'intelligence de notre cerveau, obligé de faire intervenir des «dimensions» que seules d'absconses équations mathématiques peuvent traduire. Et, finalement, cette approche intellectuelle ne fait que confirmer les affirmations des plus grands, que Tout est Dieu, tout est Brahman. Même Maya, «la trompeuse», que l'on peut confondre avec la manifestation, constitue l'extension du Suprême, seule nous manque la vision.

Il faut être capable de s'abstraire de l'espace-temps pour le remodeler, et notre constitution biologique n'est pas vraiment faite pour cela. Néanmoins, nous n'avons plus à nous étonner de la pertinence parfois flagrante d'un horoscope, ou d'un calcul horaire, quand bien même il nous manque l'escadrille d'équations qui en fonderait scientifiquement la légitimité. Si tout est imbriqué dans un réel insécable, les innombrables rouages fonctionnent dans un ordre à proprement parler renversant, cet ordre ravissant qui a torturé Newton jusqu'à sa révélation, et qui a enjoint à Einstein de rechercher un système unique qui inclurait les quatre forces fondamentales. Il n'est donc pas hasardeux de tout faire partir des lois physiques dans le monde de la durée, puisque le mouvement gouverne la manifestation tout entière, avec la question de savoir si les cycles reproduisent à l'identique les mêmes données, et s'il y a, dans le mouvement lui-même, la possibilité d'une morphologie évolutive. Il suffit de voir les tendances psychologiques comme une gamme de mouvements fondamentaux, pour réintégrer notre existence dans le cosmos, et la voir soumise à cet ordonnancement. J'ai largement simplifié la question moi-même, en ramenant tous les types de mouvements à trois catégories fondamentales, mouvement expansif vers le non-moi, le sujet se confond avec l'identification, mouvement du moi vers le moi, nécessaire pour rectifier sans cesse l'image de soi, trop narcissique et solaire, ou bien trop saturnienne et conforme à des modèles extérieurs, et enfin, le mouvement qui transcende l'aller et le retour, quasi intemporel, et qui voit au lieu d'interpréter, l'élan panoramique de Mercure qui crée l'union optimale entre le moi et le non-moi. Ces trois mouvements indissociables produisent la germination de Pluton, qui révèle au sujet la contrainte de l'évolution, qui doit être «sa propre» évolution. Dans le moment plutonien subi, le moi sent qu'il appartient à la totalité, parce que celle-ci le soumet entièrement, et cherche en quelque sorte à se souvenir d'elle-même dans l'ego annihilé: elle rejaillit du dedans comme potentiel. Aussi Pluton ne peut-il se vivre librement et harmonieusement que flanqué de la conscience intégrée d'Uranus et Neptune, qui transforment l'écrasante souveraineté du cosmos en conscience libre de la reconnaître et de la servir. La politique divine est donc assez simple finalement. Une hélice de possibilités fondamentales, qui permettent au sujet d'utiliser la durée pour prendre position par rapport à la vie et la mort. Le soleil pose la question de l'identité individuelle, saturne celle de la mort générique. Mars conquiert, Vénus imagine le meilleur, la lune distribue à chaque instant les intentions de l'univers en nous-mêmes, en suivant les cycles naturels, les accidents, les occasions, et Jupiter, avec des moyens limités, cherche les prémisses d'une conformité satisfaisante entre le sujet et les valeurs de sa culture. Chacun peut-il vivre ce jeu de l'oie en dépassant toutes les déterminations qui ont présidé à la case départ?

Pour le moment, grâce à Darwin, cette hypothèse est maintenue, le temps passe, semble tout éroder et réduire à des formes essentielles, mais une décantation apparaît également, comme si une intelligence, impossible à localiser, revenait sur le créé pour en modifier certains aspects, dans le but, semble-t-il, de les améliorer. Si nous voyons dans la même perspective les avancées de Darwin, et les hypothèses audacieuses de Sheldrake, qui trempe Platon dans la mécanique quantique, en quelque sorte, cela est déjà suffisant pour interdire aux cycles de perpétuer les mêmes choses, sans faire appel à des considérations transcendantales. Le présent transfert des informations sur des plans intemporels, qui, à leur tour, rebondissent dans les mondes physiques et biologiques, dans une progression chronologique. Si cela se confirme, quelques éveillés supramentaux peuvent suffire à changer la face du monde, d'autant qu'ils sont aidés par d'autres forces convergeant vers le Divin, dans une pyramide énergétique puissante, puisqu'ils descendent consciemment au fond de la matière et y ensemencent la lumière, tandis qu'ils nettoient également l'arbre de l'évolution, comme des spéléologues de l'Inconscient (voir Agenda de Mère).

Bien que l'on puisse prétendre, à partir de certaines perspectives, que le chaos finit par l'emporter dans l'univers, cette approche est particulièrement réservée au monde inanimé, et sert plutôt à contrebalancer l'hégémonie de la loi de gravitation qui serait suspecte, si elle ne s'accompagnait pas de contrepouvoirs, pour l'obliger à se rectifier sans cesse, ce qui la maintient. Nous en revenons donc à la nécessité d'une intelligence quantique, susceptible de développer simultanément des argumentations contraires, avec la même objectivité, avant de trouver une différence, qui emportera le jugement du côté de l'exactitude. Prygogine, manifestement, posait le doigt sur la question, en 1971:

C'est une circonstance très remarquable que la notion d'évolution se soit développée dans le courant du dix-neuvième siècle, à partir de deux points de vue manifestement opposés.

 

En thermodynamique, le principe de Carnot-Clausius apparaît essentiellement comme une loi d'évolution exprimant une désorganisation continue, autrement dit comme une loi de disparition des structures introduites par les conditions initiales.

En biologie, comme aussi en sociologie, la notion d'évolution apparaît au contraire comme étroitement associée à un accroissement d'organisation pouvant conduire à la création de structures de plus en plus en plus complexes.

...Nul n'a mieux exprimé ce fait que le philosophe H Bergson: «Plus profondément nous pénétrons l'analyse de la nature du temps, mieux nous comprenons que durée signifie invention, création de formes, élaboration continue de ce qui est réellement neuf.»

Nos fonctions psychologiques, nos planètes intérieures, disposent de l'immense marge de manoeuvre procurée par le passage du moment pour s'exprimer, s'épanouir, se mesurer à la Manifestation, en dépit du fait que les corps célestes correspondant, en tant que structures invariables, demeurent identiques à eux-mêmes dans l'espace sidéral. De cela, nous devons conclure que l'essence des pouvoirs planétaires reste inflexible, alors que leurs manifestations regorgent de formes différentes, sculptées à l'infini par la durée, formes qui appartiennent à différentes catégories, et sur différents plans. Physique avec la correspondance des organes, vitale avec un débit particulier de l'énergie, de la lune à saturne, mentale avec des types de besoin particuliers qui instrumentalisent le vital, et bien sûr, ce qui intéresse le plus l'évoluteur, les mécanismes subconscients multiples qui présentent une version régressive des pouvoirs planétaires, dans toutes sortes de compulsions disponibles dans les déchirements entre le moi et le non-moi.

La flèche du temps peut laisser des traces, pas seulement des cendres, des ruines, des vestiges, mais d'autres mystérieux objets, qui émergent avec des qualités nouvelles, et poussent donc l'évolution vers une amélioration constante. Mais, tandis que les fossiles et les ruines sont d'ordre matériel et donc visibles, les traces évolutives de la flèche du temps sont plus difficiles à localiser; elles ne se trouvent pas dans la matière, mais dans l'énergie, elles se logent dans de nouvelles combinaisons génétiques, de nouvelles propriétés des cerveaux, bien cachées à l'intérieur des neurones, peut-être dans des mémoires électroniques, cellulaires ou minérales, dont nos puces informatiques dernier cri ne seraient que des répliques... Bref, le passé obscur et destructeur s'aperçoit facilement, mais le passé lumineux, celui qui a permis des accroissements de performance et des progrès de la conscience quand il était un présent relié à des structures intemporelles ou éternelles, ce passé symétrique de la mort, qui part en sens inverse, qui tend vers l'immortalité et le Divin, demeure inaperçu: il est codé dans des univers subtils et infinitésimaux, des mémoires dynamiques qui échappent à l'investigation ordinaire des sens, et que l'on peine à piéger dans des calculs. Les bonds évolutifs échappent à toute observation, et peuvent difficilement entrer dans des procédures expérimentales de vérification, pour différentes raisons, dont la principale est que leur échelle de valeur temporelle est infiniment plus lente que la nôtre. Les transformations évolutives nécessitent un débit de durée incommensurable pour s'opérer, ce que l'on retrouve dans le symbole du diamant, issu de la compression immémoriale d'un minéral.



16/Un monde construit en abîme

Le jnana n'est jamais une connaissance d'ordre sensoriel.
Nous ne pouvons pas connaître Brahman, mais nous sommes Brahman,
dans sa totalité et non pas seulement en partie.
Ce qui n'a pas d'extension ne saurait être divisé.
Swami Vivekananda.

Bien entendu, le sentiment de l'évolution n'apparaît réellement que chez les êtres qui veulent évoluer, et qui se mettent alors à vivre au diapason des opérations divines, pour les autres, la lumière peut rester cachée, et ainsi Maya demeure-t-elle égale à elle-même, recouvrant la vérité divine de son voile que nul n'est obligé de déchirer. Ce sont les savants qui s'engagent dans une vie spirituelle qui débouchent le plus facilement sur une vision unitaire du réel, et certains mystiques, par la foi, ressentent également un mouvement solaire et doré dans l'existence, qui la transcende, comme Teilhard de Chardin, par exemple. Enfin, les vrais philosophes, car ils sont sans cesse soumis aux limites du mental, dans la mesure des causes et des effets, puisque toutes les réalités se combinent, finissent eux aussi par rêver d'un pouvoir qui les relierait, sans morcellement, à l'ensemble du Réel. Ils rêvent de s'inscrire dans l'histoire et d'y trouver leur place, et souhaitent que l'histoire mène elle aussi à l'intelligence harmonieuse du monde. Nul ne peut infliger la vision de l'initiation, qui stipule la suprématie des principes sur la confuse matérialisation où ils se combinent, devenant ainsi invisibles puis informes, à qui ne ressent pas le besoin de leur consacrer son existence. Mais si l'espèce entre dans un nouveau cycle, Maya elle-même peut dévoiler plus facilement ce qui la soutient, et les êtres humains pourront un jour choisir entre la reconnaissance du Divin, et la soumission à la Matière et au territoire, sans rester massivement entre les deux, comme à l'heure actuelle.

Tant que la conscience intérieure ne parvient pas à réfléchir saturne, la durée constitue la seule nourriture du moi, qui ne ressent pas le besoin d'en goûter d'autres. Toutes les fonctions-planètes entre lui et le soleil demeurent alors subjectives, et ne trouvent pas le chemin de l'universalisation et de l'impersonnalisation. L'émotion demeure grossière, le désir trop prégnant, les élans d'harmonisation (vénusiens) restent trop attachés à l'idée que l'objet doit combler par principe les attentes (affectives ou d'approbation), le monde social est réfléchi avec trop de complaisance pour satisfaire un jupiter générique et grossier, et, naturellement, l'image de soi est si rudimentaire que le soleil ne se détache pas des amalgames planétaires produits par la durée, et le moi n'a aucune chance de découvrir qu'il est le Moi. Quant à la pensée, elle refuse la recherche exploratoire, —indépendante du résultat et offerte à ce qui vient, sans rien demander en retour, et Mercure manque donc l'itinéraire de la plongée vers les profondeurs du moi d'un côté, et l'envolée proportionnelle vers les insights divins de l'autre. (Pluton signifie la nécessité de descendre pour remonter, en purifiant en spirales le moi générique.)

Les qualités émergentes, dont on s'épuise à découvrir les racines causales, sont un fait établi. Des bonds en avant dans tous les secteurs du réel se manifestent, comme si soudain tout convergeait pour produire autre chose, aux performances supérieures. Ces passages peuvent être remarqués en biologie, avec de foudroyants changements, comme l'apparition de la sexualité pour la perpétuation du même, en éthologie, quand les singes apprennent soudain à laver des pommes de terre sur l'exemple d'un seul, en anthropologie, quand une tribu décide de consigner dans quelques signes les schémas des événements primordiaux, donnant lieu ainsi à la naissance probable de l'écriture, en politique, quand pour la première fois la démocratie apparaît, comme dans le jeu même des pratiques de l'intelligence, avec l'apparition du zéro en mathématiques, qui transforme toutes les possibilités de calcul... Tout système, de n'importe quelle catégorie, posséderait donc des potentiels à actualiser, dont les traces ne peuvent pas être pistées, et cela demande toute notre attention, car ces possibles ne se découvrent pas dans le prolongement de la structure. Ils peuvent même en détruire la forme, et en produire une nouvelle, puisque l'organisation émergente diffère. Ce qui renvoie, là aussi, tout simplement, à une analogie avec les principes de la chimie, où la combinaison de matières basiques donne toutes sortes de résultats qui sembleraient indépendants de leurs causes, sans une connaissance préalable des facteurs qui auront été rassemblés pour les produire.

L'idée que les cycles doivent donc se reproduire à l'identique, sous prétexte que les mêmes causes produisent les mêmes effets, est archaïque, puisqu'il s'agit là d'un concept aristotélicien que toutes les avancées scientifiques du vingtième siècle ont démenti. Toute sortes de changements sont probables au sein de n'importe quel ordre en mouvement, des interférences transversales peuvent œuvrer dans l'ombre, menacer des trajectoires quasi éternelles, des milliers de fréquences se croisent, sur tous les itinéraires, et produisent des impacts créateurs, et, même si le cours des planètes semble définitivement établi, ce qui reste à prouver car la vitesse pourrait tant soit peu varier, notre hypothèse annonce que la vie possède d'autres règles, dotées de propriétés étonnantes pour des lois, comme un coefficient d'élasticité par exemple. Ces propriétés permettent justement une évolution des lois physiques à travers la matière animée. L'énergie-conscience, phénomène nouveau contenu dans la vie, renouvelle sans cesse son ressenti dans le présent, et peut donc décider de ne pas perpétuer la même chose, ou de «faire autrement», ce qui revient au même, au début d'une nouvelle boucle, d'un nouveau cycle. Ces cycles peuvent être rapides, tel un jeune singe qui apprend, après quelques corrections, à faire bonne figure en croisant le mâle dominant, ou incommensurables, comme la formation progressive du corps humain en parfait état de marche. Il convient donc de méditer par exemple sur le nombre prodigieux de variations au sein d'une même espèce de reptiles ou d'oiseaux aux territoires différents, comme Darwin, ce qui déjà nous renvoie à la question drastique de l'impact de l'environnement (variable) sur la structure, qui fonde définitivement la capacité de la durée, à amener, par elle-même, des modifications sur des objets qui paraissent figés sous l'angle d'une génération, mais qui, en réalité, continueront de faire varier leur morphologie en fonction des variations écologiques, sur de longues périodes. Dans cette perspective, il est tout à fait plausible d'imaginer que l'histoire modifie la nature humaine, automatiquement d'une part, dans son ensemble, et d'autant plus rapidement pour ceux qui décident de réfléchir consciemment l'extérieur dans l'intérieur, ce qui accélère les procédures d'adaptation. La mutation supramentale n'a donc rien d'extraordinaire, mais elle est lente, car tout lui résiste. L'homme qui est parti du bas, de l'algue bleu, pour tout dire, s'en moque, mais celui qui est parti du haut, l'âme qui s'éprend de la Vastitude et de la Vérité ne peut que souhaiter transformer son corps avec le tourbillon atomique, la vitesse absolue, c'est-à-dire le supramental.



17/Le pouvoir de l'immédiat

Il est intéressant de découvrir les lois identiques dans tout système, comme von Bertalanffy (Dunod), lui qui décrète simplement, au milieu du vingtième siècle, que des strcutures analogues se retrouvent dans de nombreux systèmes, ce qui ouvre la voie à une science des analogies entre tous les processus dynamiques. Le passage de la durée implique dans tout système (comme un groupe, une organisation) des contraintes semblables: réajustements nombreux, réorientations obligées, limite de plasticité des formes anciennes soumises au jeu des informations nouvelles... Tout organisme (constitué de plusieurs acteurs) est contraint de s'adapter ou de se rétablir constamment face, d'une part, au jeu des informations qui proviennent de l'extérieur et qui saturent son propre système, face, d'autre part, aux problèmes internes, l'usure mécanique des fonctions entre elles (comme celle des pièces d'un moteur), la question de l'autonomie relative de chaque élément, et la menace d'un jaillissement possible de désynchronisation dans l'assemblage des fonctions, par le passage aléatoire du flux dans le champ, qui, selon sa propre morphologie ralentit ou accélère le débit des informations. Face aux déficiences (variations tendant vers l'hétérogène) produites par la navigation de l'immédiat, le système est contraint de revenir à ses structures permanentes (qu'on pense par exemple, à l'organisation d'un parti politique...?!) sans pouvoir forcement le faire, étant donné que l'immédiateté peut apporter des données imprévues. Tout simplement, dès qu'un système s'appuie sur la convergence de plusieurs agents pour fonctionner, chacun doit partager son activité entre ce qu'il fait pour lui-même, et ce qu'il fait pour accomplir son rôle projeté dans l'ensemble.

Cette simple distribution de l'énergie disponible vers deux orientations distinctes, ouvre tous les variables, prépare des déséquilibres, annonce des turbulences. S'il est facile de schématiser la chose, dans la réalité, les échanges sont si rapides, les fluctuations si probables, que tous les organismes travaillent en permanence pour maintenir leur structure propre, en contrant de nombreuses poussées hétérogènes, dont le symbole le plus simple est la maladie, qui témoigne d'un nouveau rapport entre le corps et son environnement. L'extérieur pénètre l'intérieur. Les «barrières», les murs, les cuspides sont des illusions. La porosité règne, les sens donnent sur le non-moi et mars et vénus s'étendent dans leurs objets, le mental règne sur le temps et l'espace, et les représente en territoires et horaires pour se les approprier. Saturne régit l'intégrité du sujet, mais elle provient, sauf exception de l'émancipation du Moi solaire, d'un modèle extérieur. Toute émotion est produite par un catalyseur. Il n'y a pas de dedans sans dehors, de flux psychologique sans champ correspondant, et le mouvement les coud ensemble.

La nécessité d'agir dans ces deux directions simultanément est soumise à des contraintes terribles, celles de rétablir un équilibre très précis à chaque instant entre les deux orientations; en tenant compte de l'irruption perpétuelle d'informations nouvelles. Si la cellule semble fonctionner aisément selon ce principe, puisque elle possède de nombreux acteurs à l'intérieur qui finalisent chacun automatiquement son propre rôle, si les organes du corps semblent opérer pour l'organisme entier, il n'en est pas moins vrai que chaque cellule ou organe possède son propre «esprit», différent de celui du voisin, et que c'est une tâche de maintenir perpétuellement l'ensemble dans un ordre convergent. Nous ne sommes qu'à l'aube de découvrir toutes les interactions possibles et réelles, potentielles et actuelles, des parties sur le tout, de la cellule au système solaire, en commençant par nous-mêmes. La vitesse est là, qui traverse l'espace et la matière à trois cents mille kilomètres seconde, une sorte de pulsation originelle, sous un certain angle, et les cycles les mieux établis, les boucles qui semblent imprescriptibles, peuvent un jour ou l'autre se modifier.

L'intelligence évolutive aime à «repartir à zéro» en tenant compte, sur le même itinéraire qui se représente, des obstacles rencontrés dans le passé. Un être sensible n'aborde pas sa troisième vie de couple comme la première, un compositeur s'appuie sur son expérience passée pour améliorer son art, mis au défi de ne pas s'imiter lui-même, un inventeur tâtonne longuement avant de déposer un brevet révolutionnaire, un peintre est censé exprimer davantage son propre génie en se dégageant des influences au long de sa production, c'est dire que le temps ne vient pas à bout de toute chose, quand la conscience s'en mêle, et il y a donc un-je-ne-sais-quoi qui le dépasse, le transcende, c'est le fruit de l'expérience, inquantifiable, ce qui survit au cycle répétitif et l'améliore. C'est symboliquement supérieur au fruit naturel, lui qui constitue seulement une phase du cycle. C'est le résultat de l'aspiration de la conscience, qui prend différentes formes, recherche de la vérité, de la perfection, tension vers l'absolu, reconnaissance de l'énergie suprême, intuition d'une évolution permanente qui se dresse contre la mort, le terme, la fin, par la transformation et la métamorphose. Lutte de l'Être contre l'entropie. La nature, elle, se contente de tourner en rond du fruit à la graine, en passant un jour ou l'autre par la mort de l'arbre, ou bien elle se perpétue dans l'espèce en venant à bout de chaque individu particulier, sans interrompre la chaîne.

Ce qui intéresse le cosmophilosophe, c'est de prendre en défaut le travail du temps, et de trouver ce qui lui résiste, un accroissement de conscience, soit une participation illimitée à l'univers en mouvement, qui s'appuie sur l'expérimentation du moi par le moi, dès qu'il investit dans son ensemble les principes qui l'animent, et les origine dans la totalité, pour les comprendre et cesser de se les approprier comme des faire-valoir. Cette démarche, nous l'avons jusqu'à présent qualifiée de spirituelle, par opposition à d'autres trajectoires humaines, dans lesquelles le temps entasse les événement au petit bonheur la chance, sans que le centre réel, le purusha, le témoin impersonnel, ou le Divin en l'homme, l'être psychique dévoilé, ne cherche à remonter à sa source. Les êtres spirituels sont scrupuleux, se remettent en question, et veulent élargir leur champ de conscience. Ils acceptent le combat entre l'immédiat et le permanent, savent que l'un peut facilement détruire l'autre si leurs interactions ne sont pas assez conscientisées, et ils connaissent les deux dangers fondamentaux qui guettent l'âme humaine, l'enfermement, qui ferme la porte sans savoir l'ouvrir à nouveau, procédure qui rejette l'immédiat pour scléroser la structure du moi dans ses propres valeurs (saturne) et l'évasion perpétuelle, qui ouvre la porte sans jamais savoir la refermer, procédure qui dissout le moi dans l'adhérence cultivée au moment, par laquelle la personne se noie dans différents univers possibles, les émotions excessives alternées, les passions, les déceptions, les idéalisations superficielles, les appropriations permanentes, (lune) ou (mars vénus) ou (jupiter), ou la fausse identité avec le non-moi (neptune).

Les évoluteurs trangressent les frontières des cercles qui en excluent d'autres, le sujet contre sa famille, la famille contre le reste, le clan contre l'étranger, l'individu contre la société, le sujet contre l'objet (Freud, Jung et leurs produits dérivés), le moi contre la Terre entière quand les choses ne vont plus, et que le tissu homogène de la perception de la réalité se déchire. Les évoluteurs jouent au funambule entre le oui et le non, l'ouverture et le retour à soi, l'écoute et l'expression, l'opportunité gratifiante de l'immédiat et la nécessité de l'intégrité intemporelle. Ces mouvements primordiaux se retrouvent dans les propriétés des pouvoirs planétaires, en lice jusqu'à l'unité, à travers des alliances convenues ou paradoxales, à travers des complots sournois ou des luttes ouvertes. L'être spirituel veut cesser de reproduire des schémas négatifs, et il en trouve dans ses tendances psychologiques soumises à des cycles, dans des parasites transgénérationnels, encodés dans quelque obscure mémoire, qui sabotent certains types de circonstances, dans des habitudes de pensée culturelles, dans des croyances socio-culturelles qui manifestent des qualités intérieures.

(Venus jupiter) générosité, solidarité, dialogue, partage, innovation, confiance dans le nouveau: /politique de gauche/ Ou (et contre !) (mars saturne), volonté, mérite, rigueur, autorité, action, pérennité: /politique de droite/.

Les cycles planétaires se reproduisent en suivant leurs propres règles, et sans un effort individuel, ils n'ont aucune raison d'améliorer leur manifestation. Si le troisième cycle de Saturne renforce automatiquement son pouvoir, sans l'apparition du discernement cet accroissement n'apporte strictement aucun avantage, à soixante ans: la rigueur sèche qui apparaît mène à l'intransigeance et à une fermeté excessive, le non-moi intéresse moins, le corps perd sa souplesse et la santé devient plus vulnérable. Le symbole de la spirale, au contraire, enseigne que le cycle peut se reproduire en continuant d'épouser la forme circulaire, c'est-à-dire d'être calé dans son propre temps, avec une origine et une fin, puis un nouveau départ, mais d'une manière ascendante à chaque retour. En astrologie, cela signifie que chaque mois notre émotivité peut jouer différemment, et repartir à zéro si des leçons ont été tirées des événements, et que presque tous les trente ans une réorganisation profonde de nos objectifs peut se produire, à partir du bilan de nos satisfactions et de nos apprentissages. Tous les douze ans, la manière d'absorber le non-moi pour se développer, avec une connotation sociale d'adaptation, peut franchir une nouvelle étape. Chaque année, à l'anniversaire, on dispose d'un nouveau potentiel d'investissement «solaire» qui permet de réorienter ses aspirations pour les élever, ou les rendre plus concrètes. Cette injection de «conscience» dans les cycles naturels en modifie la manifestation, et il est certain que le troisième cycle de saturne, par exemple débute mieux chez les êtres humains qui ont tiré du passé des leçons intérieures, et qui seront moins pénalisés par les désidentifications obligatoires aux forces gratifiantes de la nature, une fois que le corps physique commence à décliner.



18/La conscience contre l'entropie

L'hypothèse évolutive stipule donc que la conscience développée vers la participation holistique à l'univers compense en partie la perte des facultés naturelles, et le déclin de l'âge. Nous pouvons aujourd'hui nous intéresser au Divin dans la matière pour boucler un cycle d'incarnations dispersées, où notre âme aura goûté différentes saveurs, jusqu'à se lasser aujourd'hui des dualités qui partagent le monde, et combattent en nous pour l'obtention du territoire, l'immédiat contre le permanent, le moi contre la société, le dharma contre le karma, l'intégrité contre le compromis, et tutti quanti, et c'est parce que la voie supramentale est la plus inclusive qu'elle est la plus intéressante, mais, également la plus difficile, par la trituration des éléments matériels (le cerveau est mise à rude épreuve et déclenche toutes sortes d'états de conscience, dont les contrastes sont quasiment insupportables pendant de longues années).

Le prix à payer pour passer de la nature à la transcendance, l'implication absolue, est trop cher pour certains. Les satisfactions de la nature donnée l'emportent sur celles, aléatoires, que procure l'investissement exhaustif vers le Soi, le Divin, ou l'âme, qui constitue une préoccupation permanente, une expérience en mouvement. Cet investissement est si profond que certains s'imaginent l'avoir décidé, alors qu'il ne s'agira que d'une contrefaçon produite par le mental, une pseudo renaissance, d'où la nécessité des crises uraniennes, neptuniennes, plutoniennes, insurmontables quelque temps, pour établir une consécration véritable au mystère absolu du Divin, pour la plupart des chercheurs.



19/Origine et fin de la cosmophilosophie

Le sens et la fin d'un problème me semblent résider
non pas dans sa solution,
mais dans la recherche incessante qu'il exige de nous.
(CG Jung)

Il m'est arrivé de voir à partir d'un aspect supérieur du supramental, sur la promenade des Anglais de Nice, en 2002, que les oiseaux, les chiens, les promeneurs étaient exactement sur le même plan du réel, l'existence pure, et que seules des variations morphologiques les différenciaient, toutes ces consciences étaient là, unies, qu'elles fussent impersonnelles et faibles chez les mouettes, ou affectives et sensibles chez les chiens, ou encore élaborées et séparatives, différenciées à l'extrême, chez les humains. L'air semblait également conscient de lui-même.....et tout n'avoir existé que pour ce moment. C'est une «percée évolutive» dont j'ai été à la fois l'instrument, le bénéficiaire, et l'auteur, et cette extraordinaire montée à l'horizontal a en quelque sorte équilibré des épreuves que je préfère taire pour ne pas décimer les rangs des aurobindiens. Naturellement, cet état extraordinaire, dans une autre conscience intransmissible qui s'est éternisé une bonne vingtaine de minutes de notre temps, n'a pas pu s'installer, vu la force de résistance globale, mais j'en conserve le souvenir exact: il n'existe pas de catégories d'objets sur le plan du réel, elles ne sont que des filets conçus par le mental pour piéger le ressenti et l'assembler en constructions cohérentes, pour établir des distinctions, puisqu'il ne parvient pas à voir d'un seul tenant, dans son homogénéité absolue, le processus de la manifestation. Je n'aborde donc la question du nombre en psychologie que dans le but de faire percevoir l'unité au-delà du registre particulier des fonctions-planètes, qui distribuent la perception individuelle dans l'espace-temps selon un éventail de tendances. Elles correspondent à l'octave, aux couleurs de l'arc-en-ciel, en jonglant elles s'assimilent aux chakras, et elles n'attestent que d'une seule chose, l'indéfectibilité de la matière qui s'organise de l'épais au subtil.

Tout provient, naturellement, de la lumière, et il n'est donc pas pertinent de s'enfermer dans la vision de son propre saturne, ou de son propre mars, et encore moins de son propre soleil, ou de se dilater en se perdant avec vénus, jupiter ou neptune, mais observer leur ronde permet d'adhérer à un présent très riche, délivré des filtres des fonctions particulières, qui ne joueront leur jeu qu'au moment nécessaire, laissant le Soi recevoir les énergies qui doivent transformer notre atmosphère et permettre une nouvelle conscience naturelle, intuitive et holistique. Toute la cosmophilosophie ne consiste finalement qu'en un art de la guerre solaire, qui veut donner le champ humain à la Conscience suprême, alors que les dieux lui disputent sa suprématie, comme en nous les pouvoirs planétaires veulent nous retenir dans leur autorité. Saturne peut enrégimenter le reste des pouvoirs intérieurs et décréter l'inflexible comme vérité suprême dans un rejet systématique du mouvement; Vénus peut adhérer à l'existence jusqu'à faire de la luxure une religion; Mars peut trouver dans l'ivresse de l'action et du conflit son moteur et sa fin; Jupiter aime soumettre le réel dans une conquête superficielle de l'étendue, donnant pouvoir, prestige et plaisirs.

Que Mercure laisse passer l'intelligence cosmique en nous, et qu'elle fasse à notre place le travail que notre ego refuse...

Cette vision qui m'a traversé sera un jour disponible pour l'humanité, son champ permettra à un autre type d'espèce humaine d'émerger, pourvue d'une intelligence non-séparative puissante, qui fermera à jamais le dossier des survivances dynamiques les plus grossières, dont le règne aujourd'hui menace la Terre entière. Peu importe qu'il faille des siècles ou des millénaires pour y parvenir, un Éternel concomitant à la matière peut se manifester, une forme du Brahman encore inédite dans la manifestation, un état de conscience qui, définitivement, prouve la victoire de Sri Aurobindo. Pour le moment, la guerre intérieure nous attend, mais elle peut être pacifique, guidée par le Divin, et nécessaire à l'adaptation que la Terre va bientôt nous demander.



Natarajan
St-Germain-en-Laye
sep-nov 2007